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Yves Charpiat : vétérinaire et aficionado

Yves Charpiat : vétérinaire et aficionado

Est-il possible d’être à la fois aficionado et vétérinaire? Yves Charpiat est devenu aficionado sur le tard dans un voyage aller sans retour. Il a vite compris que le rôle du vétérinaire dans la tauromachie est à la fois essentiel et complexe. Il mêle compétences scientifiques et enjeux éthiques. Le vétérinaire, gardien du temple, est un rouage sans lequel la corrida ne peut se dérouler normalement. Tertulias a rencontré Yves Charpiat qui nous fait découvrir les missions qu’un vétérinaire dit taurin remplit autour d’une corrida.

Tertulias : « Yves, peux-tu te présenter en quelques mots ? »

Yves Charpiat :« Yves Charpiat, parisien d’origine. J’ai été vétérinaire praticien en Charente Maritime. Je suis devenu aficionado quand j’avais 35 ans sans aucune tradition familiale. Par contre, quand je suis tombé dedans, je suis tombé dedans jusqu’au cou. L’Association Française des Vétérinaires Taurins a joué un très grand rôle, notamment son fondateur Pierre Daulouède. On m’a vite confié un rôle de bibliothécaire puis de secrétaire. Et il y a neuf ans j’ai été élu Président de l’AFVT. »

Tertulias : « Comment devient-on aficionado à 35 ans ? »

Yves Charpiat : « Gamin, j’avais vu une corrida. Plus tard, lors d’un voyage avec ma future  épouse à Barcelone fin juin sous la pluie et au milieu de touristes japonais sur des gradins presque vides , j’en ai revu une autre. On n’y a rien compris et nous nous étions jurés que nous n’y retournerions plus. Puis un beau jour de 1988, un copain médecin m’a proposé de venir voir autour d’un verre une corrida que retransmettait Canal Plus. Il y avait Victor Mendes et El Soro. (Et oui, je me rappelle très bien…!)

A la fin de la soirée, il m’a proposé d’aller voir la corrida de Floirac qui venait d’ouvrir ses arènes l’année précédente. Nous y sommes allés. C’était une corrida moyenne. Ce qui m’a épaté, ce sont les gens autour de nous qui parlaient et qui semblaient passionnés. Nous sommes aussi allés tous les deux à Dax. Et puis très vite, il y a eu la création de l’AFVT, la distribution de tracts autour des arènes de Dax, et j’ai tout de suite adhéré. Je suis le premier adhérent après le fondateur. Il m’a emmené en Espagne. Le virus s’était insinué dans mon organisme. Cela correspondait aussi à mon caractère. Quand je me lance dans quelque chose, je le fais à fond. »

Tertulias : « Comment être vétérinaire peut-il être compatible avec être aficionado? »

Yves Charpiat : « Cela ne m’a jamais posé de problèmes. J’ai passé du temps dans les abattoirs en faisant des remplacements de collègues. Je n’ai jamais fait le lien avec le fait de tuer un toro dans une arène. Au contraire, le toro de lidia, a la chance d’avoir la vie qu’il a vécue et quelle belle mort!  Je ne cherche pas à discuter avec des antis. S’ils sont sincères, ils sont devenus végans, sinon, ils se moquent de nous car ils mangent de la viande. Ils n’ont donc rien à nous reprocher au vu de ce qu’ils font eux-mêmes. Je me rappelle ce que me disait Pierre Daulouède, le Bayonnais fondateur de l’AFVT que son métier d’inspecteur d’abattoir finissait par ldégoûter car tous les matins il voyait des agneaux se faire égorger. Par contre il aimait et a toujours aimé la corrida. »

Tertulias : « Quels sont les missions du vétérinaire lors des corridas ? »

Yves Charpiat : « A proprement parler, elles commencent au niveau du transport. Le toro doit arriver aux arènes conformément aux règles édictées par l’Europe. Il y a un temps de route à ne pas dépasser, des conditions de transports à respecter. Il y a un projet de réglementation qui va nous poser problème avec l’obligation de décharger les animaux au bout de huit heures passées dans un camion. On espère qu’il y aura des dérogations pour le transport de certains animaux dont les toros de lidia.

Dès l’embarquement, le vétérinaire qui suit l’élevage (en Espagne cela se fait avec les vétérinaires de l’administration) vérifie la conformité des moyens de transport, vérifie le plan de route et remplit les documents de transport. Aujourd’hui , même dans un département taurin comme les Landes, il n’y a plus de techniciens affectés à la tauromachie.  C’est donc le vétérinaire, que doit obligatoirement avoir en son sein la CTEM, qui réceptionne administrativement les papiers et vérifie la conformité administrative des toros  puis fait un rapport à la Direction Départementale de Protection des Populations ( l’ex-Direction des Services Vétérinaires).

Le vétérinaire de chaque CTEM doit, depuis la dernière modification du règlement taurin de l’UVTF, être membre de l’AFVT ce qui permet que tout vétérinaire ait les informations légales pour remplir sa mission de manière efficace. En fait, nous sommes assez peu nombreux et un vétérinaire est souvent commun à plusieurs arènes. »

Tertulias : « Est-ce vous intervenez au moment du reconocimiento ? »

Yves Charpiat : « Oui en vérifiant la conformité des papiers et de la description du toro. On contrôle si l’animal est en bon état, qu’il n’a pas été blessé ou qu’il n’a pas souffert du transport. La présentation n’est pas notre sujet mais on intervient sur une blessure éventuelle. Pour le reste, ce sont les CTEM qui valident les toros. Certaines emmènent leur vétérinaire au campo lors de l’achat. »

Tertulias : « Avez-vous un rôle de conseil auprès des organisateurs  ? »

Yves Charpiat : « Le vétérinaire conseille les organisateurs pour que le séjour du toro aux corrals se passe le mieux possible. En amont ces conseils concernent la préparation des corrals. Une litière conforme avec de la terre, de la paille pour que les toros ne soient pas sur du ciment est indispensable. Les abreuvoirs, les mangeoires doivent être en bon état. Les conseils alimentaires sont parfois nécessaires. Il est assez fréquent que des animaux soient en diarrhée et fassent de l’acidose. Les bouses pâteuses, verdâtres sont des signes d’acidose pouvant parfois entraîner des pertes de sabots pendant la course.

Ce sont souvent des toros un peu trop engraissés pour prendre du poids ou du volume. L’organisme ne suit pas. Il métabolise mal la nourriture et il y a de l’acidose au niveau de la panse. C’est facile à rectifier en donnant du bicarbonate de soude ou en remplaçant le pienso par du foin. Mais certains mayorales ont du mal à accepter que l’on donne aux toros autre chose que ce qu’ils avaient l’habitude de donner ou que ce dont ils ont reçu l’ordre de leur donner. Or ces animaux viennent de passer d’une vie libre dans des grands espaces à un endroit clos. Il y a du stress lié à ce changement d’environnement, au transport ou à la météo. Certains s’arrêtent de manger. Il faut  leur apporter les bons aliments pour qu’ils aient de la force en piste.

Les conseils peuvent aussi porter sur la conception même des corrals afin qu’ils soient les plus frais (ou les moins chauds) possibles. On se bat aussi sur tout ce qui est autour des arènes en particulier le bruit dans la fête. Quand, il y a une météo caniculaire, il serait bon d’enchiquérer Juste 1h30 avant la course. Chacun a pu remarquer que les corridas ont bien plus d’allant quand il pleut qu’avec 40°à l’ombre. Pour résumer, notre rôle est d’assurer le bien-être des toros au cours de leur séjour aux corrals. »   

Tertulias : «Quel est le rôle du vétérinaire le jour de la course ? »

Yves Charpiat : « Le vétérinaire taurin a plusieurs missions. Et ce n’est pas forcément le même qui va toutes les remplir. Celui des arènes peut être amené à soigner des chevaux. Il a un rôle de conseil au président. Sans forcément être au palco, mais en étant relié à lui par radio ou téléphone, il pourra répondre aux questions que se pose le président en particulier sur un problème physique concernant le toro.

A Céret, à Saint Martin de Crau parfois, il y en a un au palco. A Arles, il n’est pas au palco, mais il est placé derrière le président pour lui donner un avis le cas échéant. J’ai vu à Bayonne l’Alguacil nous transmettre une question sur le remplacement d’un toro. Et puis il y a le cas de Vic qui met actuellement trois vétérinaires au palco pour la corrida concours…

On peut aussi avoir à intervenir le matin quand les cuadrillas voient les toros et que parfois elles détectent des animaux avec des défauts de vision. C’est délicat car il arrive que ce soit un prétexte pour les exclure de la corrida. Voir un toro dans un espace réduit comme un corral c‘est difficile. Sa vision est monoculaire et pas simple à interpréter. Dire qu’il n’a aucun problème c’est prendre une grosse responsabilité et il ne faudrait pas que l’après-midi un professionnel prenne un coup de corne parce que l’animal n’a pas suivi la cape ou la muleta. »

Tertulias : « Intervenez-vous pendant la course ? »

Yves Charpiat : « Le vétérinaire peut être sollicité pour un conseil sur un changement de toro sans céder à la pression parfois ridicule au moindre faux pas. Le vétérinaire peut avoir la charge de soigner un cheval blessé, ce qui reste extrêmement rare. A Floirac, nous avons opéré et soigné Coquet un cheval d’Alain Bonijol. Renversé, il est tombé du côté droit et le toro de Fraile l’a encorné par la fenêtre du caparaçon.

Ramené au patio, nous avons entrepris avec le regretté Bernard Cereza de la cuadra Bonijol et le docteur Gouffrant de Bayonne (présent sur les gradins) de le déshabiller et on prend la mesure de la blessure. On a endormi le cheval et on a remis cm par cm tous les intestins à leur place. On l’a ensuite transporté à la clinique du Docteur Lenormand à Libourne pour être mis en observation. Ce Coquet a été donné à Luc Jalabert pour des travaux des champs et il est mort de mort naturelle en Camargue. »

Tertulias : « Et après la course ? »

Yves Charpiat : « C’est le soin aux toros indultés. Ce n’est pas le plus compliqué. On peut notamment utiliser du miel liquide comme facteur de cicatrisation sur et dans les plaies en particulier de piques. Ce qui est important c’est que le toro revienne rapidement à l’élevage et retrouve la liberté. Il a besoin de tranquillité et de retrouver son environnement naturel.

Le vétérinaire de la CTEM s’occupe des papiers qui vont accompagner les carcasses. La législation considère les arènes comme des abattoirs ce qui permet d’ailleurs d’avoir des dérogations en cas de limitation d’importations car les toros ne sortent pas vivants des arènes. Il remplit le certificat vétérinaire d’information , fait accompagner les carcasses par les passeports bovins et donne ces papiers au boucher. Par contre c’est naturellement le vétérinaire inspecteur qui intervient à l’abattoir où se déroulent les opérations de découpe,»

Tertulias : « Qu’en est-il du prélèvement des cornes  ? »

Yves Charpiat : « Dans les arènes de première  et de deuxième catégorie (depuis la modification du règlement UVTF), des cornes sont prélevées par un vétérinaire de l’AFVT. Autrefois Céret le faisait à titre privé, même pour sa novillada, mais sur les novillos, l’interprétation de l’analyse est difficile car les cornes ne sont pas encore finies.»

Tertulias : « Comment se passe le prélèvement ? »

Yves Charpiat : « Au début, le matin aux corrals, on faisait notre propre sorteo. Les premiers prélèvements ont été faits en 1994. Au début, c’étaient les balbutiements de l’organisation et on faisait un peu ce que nous voulions. Ensuite l’UVTF a mis un délégué d’une autre ville pour accompagner les vétérinaires puis nous avons défini un protocole par tirage au sort de deux paires de cornes. On procède ainsi depuis 2009, et la présence du délégué UVTF n’avait plus de raison d’être. Nous prenons les premiers toros désignés par le sorteo des matadors. Comme les ganaderos peuvent déclarer deux toros arréglés, nous adaptons le prélèvement en fonction. On prend les deux premiers car c’est une source de stress en moins pour gérer l’ensemble de la course. »

Tertulias : « Qu’en est-il de l’analyse en elle-même? »
Mesure

Yves Charpiat : « A l’arrastre, la mesure de la grande et de la petite courbure de la corne est essentielle. En faisant ces mesures du sillon jusqu’à la pointe, il n’est plus nécessaire de garder la corne entière. La coupe se fait à 15cm de la pointe, ce qui est suffisant pour notre analyse. Le scellé est mis en présence du vétérinaire de la CTEM et parfois d’un huissier. L’huissier, c’est une bonne idée mais ce n’est pas obligatoire à partir du moment où les   ganaderos ou leurs représentants ont été officiellement invités à assister au prélèvement. Les mesures sont relevées sur une fiche. Les quatre cornes avec leurs scellés sont mises dans un sac. C’est conservé dans un congélateur par le vétérinaire de la CTEM qui est chargé de les apporter le jour de l’expertise proprement dite.

Expertise

Pour l’expertise, la corne est sciée longitudinalement depuis la pointe sur 20 cm environ.  On voit alors la fin de l’os prolongé par l’étui corné qui est traversé par une  ligne blanche qui est un peu la moelle qui l’irrigue. Cette ligne blanche doit avoir une mesure toujours supérieure au septième de la moitié de la somme grande + petite courbure, c’est-à-dire au septième de la longueur de la corne. Ce calcul est celui imposé en Espagne par le ministère de l’intérieur. En outre, quand on scie comme cela une corne, le trajet de cette ligne blanche. permet de voir s’il y a eu manipulation. Sur une corne normale, elle arrive dans la pointe, sinon elle arrive sur le côté extérieur.

Les résultats aujourd’hui sont tels qu’on ne peut plus parler de fraude en première et seconde catégorie en France. Ce n’est pas parce qu’il n’y a plus la bolita (le diamant) au bout de la corne que celle-ci a été trafiquée. Mon confrère espagnol Alberto Albarran explique très bien pourquoi on ne trouve presque jamais la bolita sur les cornes : à force de creuser, taper, frotter  le toro la perd la plupart du temps avant ses deux ans. »

Tertulias : «Et pour les arènes troisième catégorie? »

Yves Charpiat : « Nous n’avons pas les moyens d’envoyer un vétérinaire neutre dans toutes les arènes pour faire un prélèvement. On n’aurait pas les moyens non plus de faire les expertises de toutes ces cornes prélevées. Nous manquons de ressources dans certains départements. Un mode de prélèvement aléatoire pourrait être une solution. En 2024, nous avons analysé 63 toros et donc 126 cornes  »

Tertulias : « Que penses-tu de l’espérience de la caméra infra-rouge testée à San Agustin de Guadalix ? »

Yves Charpiat : « Je n’ai pas d’expérience sur ce système de mesure.  L’UVTF n’est pas prête à acheter des caméras pour toutes les arènes…  Le problème des innovations, en tauromachie, c’est de pouvoir les tester à grande échelle. Pour la caméra, la difficulté est d’avoir une base de données complètes et les financements pour pouvoir établir cette base et s’équiper du matériel. »

Tertulias : « Quelles sont les autres activités d’un vétérinaire taurin ? »

Yves Charpiat : « Il y a eu des travaux de recherche en particulier avec l’INRA. Nous avons réalisé une étude sur les fibres musculaires en fonction des encastes et le lien qui existait avec le comportement des toros. C’est extraordinaire d’avoir pu bénéficier d’une équipe de l’INRA pour s’occuper des toros de combat. Les spécialistes en alimentation ont pu en tirer des informations intéressantes.

En tant que Président de l’AFTV, je suis à l’ONCT. Il n’est pas rare que l’ONCT nous demande de lui apporter conseils et soutiens techniques dans les actions qu’elles mènent. »

Tertulias : « Quels sont les faits marquants de ta carrière    ? »

Yves Charpiat : « La présidence à Vic, c’est quelque chose de spécial. C’est un grand honneur, mais aussi une grande responsabilité. Et puis le sauvetage de Coquet dont nous avons parlé. Cela a été tellement émouvant de voir ce cheval sauvé et la chaîne de solidarité qui s’est mise en place. C’est un super souvenir. »

Tertulias : « Comment envisages-tu l’avenir de la corrida ? »

Yves Charpiat : « Je pense que la corrida sera toujours présente. Si elle disparaissait ce ne serait que de façon momentanée comme cela s’est déjà passé. Elle dépend surtout des politiques. Je suis assez optimiste. Le travail de défense est un boulot énorme et usant. Quand on voit le travail fait par l’ONCT et ses juristes, il faut se rendre compte de ce qu’ils apportent à la défense de la tauromachie, se rendre compte de ce qu’on leur doit. »

Une réflexion sur “Yves Charpiat : vétérinaire et aficionado

  • Reportage très intéressant et surtout très instructif débat très bien mené

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