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El Rafi, artiste engagé!

Rafael Raucoule « El Rafi » a 23 ans. Il est devenu le 69ème matador de toros français. Rafi cet automne, a été une de leur figure de proue dans les médias, quand il a fallu monter au créneau pour défendre la tauromachie, contre les attaques liées à la PPL Caron. Rafi est avant tout un torero qui souhaite s’exprimer sur le sable des arènes. Entre un tentadero et une soirée d’inauguration de l’association de la Jeunesse Taurine de l’Adour dont il est un parrain avec Clemente, Tertulias l’a rencontré pour un entretien.

Tertulias : « Aujourd’hui qu’est-ce que cela fait d’être le symbole des toreros français dans les medias? »

Rafi : « Content, même si c’est malgré moi. Tout d’abord, je suis le porte-parole de l’Association des Matadors de Toros Français pour le sud-est (Dorian Canton l’est pour le sud-ouest). La première interview que j’ai faite, c’est pour France Inter et comme, ça s’est bien passé, j’ai eu d’autres demandes. Chaque fois que j’ai eu à répondre favorablement à ces demandes, cela s’est toujours fait en accord et en coordination avec l’AMTF. Ce n’est pas une action personnelle mais concertée. »

Tertulias : « T’es tu préparé spécialement pour l’exercice?»

Rafi : « Non pas spécialement. J’ai essayé de préparer et de rédiger quelques réponses à des questions que j’avais anticipé, mais au final ça ne sortait pas. J’ai donc préféré vivre ça comme une conversation avec mon interlocuteur, en laissant de côté la froideur de réponses préparées. Les toros, c’est ma vie, c’est ma passion, suffisamment pour pouvoir en parler normalement et naturellement. »

Tertulias : « Justement comme tu le dis, les toros c’est ta vie, as-tu ne serait-ce qu’un instant, envisagé ce que serait ta vie sans la tauromachie?»

Rafi : « Non. Bien sûr, dans les moments les plus durs, il y a toujours une remise en question. Il m’est arrivé de me demander ce que je ferais sans les toros..mais il n’y a que la question qui est venue pas la réponse! C’est un vide intersidéral. Sans les toros, je ne serais personne. On peut toujours essayer de dissocier l’homme du torero, personnellement je n’ai pas reussi à trouver la solution. »

Tertulias : « Qu’est-ce que cela signifie être torero à notre époque?»

Rafi : « Au début, je pensais que ça signifiait une mise à l’écart, un rejet. Plus le temps passe, plus je trouve que c’est une formidable façon de s’exprimer, d’exister. S’exprimer en tant qu’artiste, dans une époque où la tauromachie est clivante, je trouve que le défi est beau. J’ai toujours voulu être torero, c’est très vocationnel. Je suis né pour être torero. Chacun son chemin, c’est le mien! »

Tertulias : « Dans ce chemin, en tant que novillero, tu torées dans toutes les grandes arènes qui comptent. Tu as une maison d’apoderamiento qui commence à avoir du poids. Ton alternative à Arles est réussie, ta confirmation à Nîmes aussi (qui plus est, télévisée), puis arrive la rupture avec Tauroemocion, que s’est-il passé? »

Rafi : « C’était compliqué pour Alberto (Garcia) d’avoir deux négociations à mener de front pour Emilio de Justo et pour moi. Quand il appelait les empresas pour Emilio, il parlait aussi de moi. Il se sentait obligé de parler des deux. Au coeur de l’hiver, Emilio a voulu qu’il s’occupe exclusivement de lui. Tauroemocion a certes d’autre toreros comme Joselito Adame, El Cordobes mais c’est dans une stratégie bien précise. On a donc préféré arrêter. C’est vrai que ça a mis un certain frein, mais avec Patrick (Varin) nous avons réussi à faire une bonne temporada française. »

Tertulias : « Du coup quelle est la clé pour dévérouiller le marché français très concurrencé, et ce marché espagnol très fermé?»

Rafi : « Evidemment à 80%, c’est ce que tu donnes dans l’arène. Il faudrait être fou pour dire le contraire, mais je pense qu’il est important aussi, d’avoir une vraie personnalité dans et hors de l’arène. Avoir une bonne image, plus qu’une image, une authenticité, celle d’un artiste. Je ne recherche pas à être juste un torero qui coupe des oreilles, mais un torero qui transmet des émotions, donne envie d’être vu. Je vais devoir tout faire pour me développer en tant qu’artiste et avoir de l’ambition. Avec des bons toros, je sais que je peux faire de bonnes faenas, c’est avec les toros moyens ou médiocres que je dois aussi y arriver. La régularité, c’est ce que je travaille, c’est ce qui me fait perdre le sommeil. »

Tertulias : « Dans l’absolu, as-tu un plan de carrière?»

Rafi : « Non! J’en ai eu des plans du temps de novillero. Passer en non piquée, puis avec chevaux, trouver un apoderado, prendre l’alternative. Une fois que tu es dans le grand bain, avec des toreros de 10 à 15 ans d’alternative, tu nages dans l’océan, tu ne sais pas où tu vas… L’important est de se fixer un objectif par rapport à ta tauromachie, te concentrer sur ton évolution. C’est ce que nous faisons avec Patrick. Viendra après ce qui doit venir, mais je ne me fixe pas d’objectifs précis de carrière. »

Tertulias : « Ta carrière est très liée à Patrick Varin, quelle est la nature de vos relations?»

Rafi : « Très étroites. C’est normal, je le connais depuis que j’ai 11 ans. Dans la tauromachie, c’est un père spirituel pour moi. Et dans la vie, je me suis éduqué, élevé avec lui aussi. Ce n’est pas qu’un apoderado, c’est mon maestro. On a partagé beaucoup d’étapes ensemble: simple élève, de professeur à maestro puis apoderado. C’est un parcours complexe. Nous vivons les choses intensément. »

Tertulias : « Comment définirais-tu ta tauromachie?»

Rafi : « Je déteste me définir car la définition elle se fait par ceux qui te regardent. Ce qui est beau dans l’art et la tauromachie, c’est que la recherche t’emmène à des endroits dont tu ne soupçonnes pas l’existence. Se définir, c’est se couper l’herbe sous le pied. Je n’ai pas envie de me cantonner à tel ou tel style mais ce que je peux te dire, c’est que ce qui me plait dans la tauromachie, c’est la pureté, le relâchement, le clacissisme. D’un autre côté, m’ouvrir le compas et me casser en deux peut me convenir dans une faena. Je n’ai pas d’adjectif pour me définir. Avec le naturel et l’authenticité, tu exprimes qui tu es. »

Tertulias : « As-tu des modèles qui t’inspirent?»

Rafi : « Quand j’étais gamin, j’aimais le Juli qui venait tout le temps à Nîmes, Sébastien Castella aussi, mais je n’ai pas vraiment eu d’idole. Avec le temps, je suis devenu un amoureux de Manzanares père, son trazo de muletazo et son panel de tauromachie, du poignet et du côté poderoso et dépassement de soi du Niño de la Capea, de la race et du relâchement de Joselito, de la colocación de Cesar Rincon. Ce ne sont pas des toreros très semblables, mais ce sont des toreros qui me fascinent. »

Tertulias : « Et en dehors des toros?»

Rafi : « Antoine Dupont j’adore. Dans la vie, je suis curieux de tout même s’il faut savoir être très centré sur le toro pour ne pas s’éparpiller. J’aime beaucoup le rugby car on retrouve des valeurs communes avec la tauromachie, il faut se surpasser tout en restant humble, tu donnes beaucoup sans demander en retour. En fait, ponctuellement il y a des gens très divers qui m’inspirent. Mohamed Ali dans la boxe par exemple. J’aime beaucoup Sylvain Tesson l’écrivain. Je veux acheter un de ses derniers livres « Blanc » qui parle de la montagne et de la solitude. »

Tertulias : « Justement, un torero est entouré, tu as une peña par exemple, mais c’est aussi beaucoup de moments en solitaire, quel est ton rapport à cette solitude. ?»

Rafi : « A propos de peña, je t’annonce qu’il va y en avoir une seconde. Elle sera dans le sud-ouest à Dax, elle est en train de se créer.

Pour ce qui est de la solitude de prime abord, je détestais cela. Depuis gamin, je ne la supportais pas. Avec le temps, je finis par l’apprécier. En fait, cela m’oblige à être bien avec moi-même. Quand tu es devant le toro, tu es seul. Et si tu n’es pas bien dans la vie, seul, confronté à ce que tu es, tu ne peux pas être devant le toro. Si tu es toujours en recherche de l’appui, de la reconnaissance des gens, c’est que tu ne supportes pas d’être bien avec qui tu es. Cette relation à la solitude, elle est nécessaire et bénéfique. C’est pour ça que je pars en Espagne chaque année et que j’y pars tout seul. J’ai besoin de me retrouver en solitaire et me confronter à mes peurs, mes doutes. Ces moments là, il est important d’avoir appris à les digérer.

Quand tu arrives à une corrida, sans être assez préparé psychologiquement, tout te submerge. Les toros, la pression, les compagnons de cartel. J’essaie donc d’apprendre de toutes mes expériences dans une démarche personnelle et c’est pour cela que j’ai ce besoin d’être seul chez moi et de décider quand rompre cet isolement. »

Tertulias : « Au delà de la peur physique vis à vis des risques encourus dans une arène, est-ce que le public est un facteur de pression ou de peur supplémentaire ?»

Rafi : « La présence du public me galvanise. J’ai voulu être torero pour le rapport avec le toro mais aussi pour être en scène. Bien sûr, il n’y a rien qui me rend plus heureux que de toréer seul dans le campo. Dans l’arène, c’est toi et le toro le principal. Après je ne torée pas pour le public mais j’essaie de lui transmettre des émotions. La peur, elle est entre moi et le toro. La pire des peurs, c’est quand tu te trouves devant le toro, et que tu te dis que tu ne va pas y arriver parce que tu ne le comprends pas, et que tu vas décevoir ceux qui croient en toi. Il y a la peur physique aussi, celle de se faire attraper par un toro. Parfois quand je torée, j’ai encore du mal à oublier mon corps, je reste en tension. J’ai du mal à me libérer de ça et à me relâcher. »

Tertulias : « Le vrai relâchement, il existe face à un toro?»

Rafi : « Ha oui, et c’est magnifique! C’est le plus beau. Quand tu te relâches complètement devant un toro, tu es plus relâché que dans ton lit le matin. Quand tu es en osmose avec l’animal, même si tu restes sur le fil du rasoir entre le comprendre et le dominer, ce n’est plus ton corps mais ton esprit qui torée. C’est José Tomas qui dit « pour bien toréer il faut laisser l’intelligence en paix et laisser agir l’esprit et l’âme ». L’âme c’est la pureté du gosse qui sort dans son jardin et va donner des passes. Quand tu arrives dans cette état de transe, c’est extraordinaire. »

Tertulias : « As-tu un toro en particulier qui te permettrait plus qu’un autre?»

Rafi : « Aucun. J’ai eu des moments fabuleux ou des moments très difficiles avec tout type de toro. »

Tertulias : « Comment se présente ta temporada 2023?»

Rafi : « Bien, j’ai des corridas pour me mettre dans le rythme de la temporada (ndlr: sont signées à ce jour Ales, Nîmes, La Brede, Eauze). Chaque date est importante. Il devrait y en avoir d’autres. »

Tertulias : « Quand tu auras les cheveux blancs, que sera venu le temps de ranger les trastos, qu’aimerais-tu que l’on dise de Rafi le torero?»

Rafi : « Je suis tellement dans le court terme, que je ne me projette pas si loin. Etre torero, c’est la recherche de l’instant présent. Si tu te retournes trop vers le passé ou que tu penses à l’avenir, tu vas rater des échéances importantes. Je ne me fais pas de souci pour plus tard. Je me ronge de l’intérieur pour ce qui va arriver dans le mois qui vient, pas ce qu’on dira de moi dans 10 ou 20 ans. »

Tertulias : « Tu es un des parrains de La Jeunesse Taurine de l’Adour, récemment créée. Pour toi comment peut-on donner envie aux jeunes d’aller à la corrida?»

Rafi : « On peut le faire par la pédagogie, l’enseignement que nos interventions depuis novembre ont permis de faire. Le fait que des jeunes toreros prennent la parole permet une meilleure identification. Il faut utiliser les nouveaux outils de communication, les réseaux sociaux et organiser des moments conviviaux. Sans enlever le côté mystérieux et mystique de la tauromachie, il faut moderniser notre approche (instagram, youtube). Par rapport aux jeunes d’aujourd’hui, il faut proposer autre chose qu’une simple corrida, il faut proposer un ensemble convivial qui englobe le spectacle, pour qu’aller aux arènes redevienne à la mode. »

Merci à Rafi pour ce moment d’échange et rendez-vous le 20 mai à Alès pour son début de temporada.

Propos recueillis par Philippe Latour.

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