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Pablo Aguado et bas!

10 mai 2019, les planètes taurines s’alignent pour Pablo Aguado. Séville chavire devant tant de grâce et de naturalité. Derrière le viseur de mon appareil photo, ma vue se brouille. Cela fait pas mal d’années que nous sommes quelques-uns à y croire en ce jour de gloire. La patience a des vertus parfois! La porte du prince s’ouvre, les dithyrambes qualifient le moment, Séville a peut-être trouvé son nouveau roi. Morante semble à ce moment vieillissant, la concurrence est ténue avec les autres andalous. Le soleil brille, le ciel est sans nuage et les contrats pleuvent !!! Qu’il est devenu facile en ce mois de mai d’être aguadista!

Pablo Aguado est venu tard à la tauromachie …  Côté parents c’était un peu « passe ton bac d’abord » en quelque sorte, et comme il a la tête bien faite, il va pousser ses études jusqu’à l’université : diplômé en Administration et Direction d’entreprise. Et pendant ce temps-là des toros ils n’en voient pas! Un bref passage en festival en 2012, et une carrière taurine qui ne commence qu’en 2014 à presque 23 ans..

Du coup, des lacunes, il en a , mais il a aussi une personnalité différente. Son concept s’est affiné depuis ses débuts. La lenteur, la naturalité, la sensibilité sont ses quêtes permanentes. Intimiste presque intériorisée, sa tauromachie ne peut s’exprimer que dans un contexte bien précis, les fameuses planètes qui s’alignent.. Oui mais voilà , le toro qui charge sans à coups, à mi-hauteur et qui répète , ils n’en sort pas tous les quatre matins des chiqueros. C’est alors que la technique rentre en jeu et quand, pendant des années tu as eu le nez dans les livres et pas dans les muletas , tu n’as pas toujours toutes les solutions aux énoncés de problème.

Mais de tout cela , le 10 mai, qui s’en soucie vraiment? Depuis de fulgurances en fulgurances Pablo Aguado entretient le mirage et l’illusion .. enfin dans son pays et surtout dans son andalousie natale. Pas sûr qu’il soit fait pour le barnum taurin. Un jour ici , un autre là et devoir répéter les mêmes gestes que tout le monde voudrait inspirés. Alors bien sûr le temps d’une véronique , d’une passe donnée avec la légéreté d’une caresse, le souvenir du 10 mai s’estompe moins vite. Pourtant au fil des contrats, l’ami Pablo perd de sa superbe. Le corps lâche un jour d’octobre de 2021 à Séville. Genou dans la boîte à gant . Une entorse en guise de pied de nez au carcans de sa carrière, une volonté de changer de direction mal maitrisée , une occasion de se recentrer sur l’essentiel perdu de vue à courir après le rêve évanoui d’une faena magique?

L’hiver pour se reconstruire , se redonner du souffle .. les premiers pas de la temporada laisse espérer ! Valencia, Castellon , le sourire qui revient sur le visage du brun ténébreux.. puis plus grand chose . Séville le boude , Madrid le secoue et Pablo perd pied , ne sachant pas sa leçon , bafouillant ses gammes. Pourtant je veux encore y croire et qu’importe le prix du carburant , quand on aime doit-on compter? Quelques six cent bornes pour me retrouver sur les gradins du majestueux et vieil amphithéâtre romain de Nîmes à espérer que le voisinage souvent croisé de Morante l’inspire plus qu’il ne l’inhibe.

©️Daniel Chicot

Dans son costume azabache, celui des artistes, Pablo a coulé à pic. Pestant contre tout et tout le monde , surtout contre lui-même. Dans l’incapacité de faire face à l’adversité, seul dans son désert émotionnel il n’a pas réussi à donner le change. Le fardeau du 10 mai est bien lourd à porter désormais. Triste réalité de voir un torero prometteur brûler ses ailes à petit feu au soleil de promesses non tenues mais il est encore temps de se retrousser les manches, de travailler dans l’ombre, de retrouver le fil conducteur originel. Retrouver l’humilité du débutant qui doit sortie après sortie prouver et encore prouver. Être Aguadista c’est devenu moins tendance!

Entre haut et bas , Pablo a revêtu le costume de l’étoile qui file. Il est bien trop intelligent pour ne pas s’en rendre compte. Si tout le monde ne naît pas Morante , rien n’empêche de s’en inspirer car de triomphes en échecs , de la bronca aux ovations, des admirateurs aux détracteurs , de déclin en renaissance, 25 ans après l’artiste au cigare n’a jamais été aussi vivant. Finalement se vaincre en plein triomphe n’est-il pas triompher deux fois?

Philippe

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