Encastes

Les toros d’encaste Pablo Romero

Il y a dans l’élevage des toros bravos, une part de cuisine, de chimie, voire d’alchimie. Tout est affaire de mélange, d’extraction des principes actifs et de recombinaison. L’histoire de l’encaste Pablo Romero en est un exemple.

Pablo Romero, l’histoire compliquée d’un encaste complexe
Les origines

Dans les années 1850, un certain Victor de Pablo fait courir des toros à Séville. Le commerce des bravos est alors juteux. Un autre parent, Ramon Romero Balmaseda a aussi un troupeau, d’origine Cabrera, qu’il cèdera à Rafael Lafitte Lafitte. En 1885, un de leurs neveux, Felipe de Pablo y Romero, achète à la famille Conradi la ganaderia qu’elle avait elle-même acheté quelques mois auparavant à Rafael Lafitte Lafitte. Felipe est un riche propriétaire terrien. Il possède 15000 ha de terres et une superbe hacienda nommée Benazuza. Devenir ganadero est un moyen pour lui qui est un roturier de « côtoyer » les Comtes et Marquis qui possèdent des élevages souvent prestigieux.

On retrouve dans les premières bêtes achetées du sang Vistahermosa, Cabrera, Jijon, Navarrais, Gallardo, Vasquez. Felipe annonce d’ailleurs ses toros pendant quelques années comme provenant de l’une ou l’autre origine. Rapidement, il met en avant celle prestigieuse qu’est Gallardo. Il fait paître les vaches dans la marisma de Partido de Resina et les reproducteurs dans les cercados d’Herreria à trois heures de cheval de là.

Le modèle Pablo Romero

Pour lui les toros sont une vitrine de la famille. Jamais, et ce sera pendant une centaine d’années une caractéristique de ce fer, il ne cherchera à rentabiliser et optimiser cette activité. Il ne reculera jamais devant les dépenses, en particulier de nourriture. Les toros de Pablo Romero en profiteront d’où le gabarit et la force caractéristique de cet encaste.

Comme c’est la pratique à l’époque, Felipe sélectionne les vaches au cheval. Il cherche à produire un toro brave au premier tiers. Pour le reste, les toreros s’en accommoderont. Il met quand même de l’ordre dans les pratiques. Toros et vaches sont séparées. Il créé un pool de reproducteurs. Il initie un travail de sélection.

Les premières apparitions de la ganaderia

Avril 1888, c’est la présentation à Madrid. Le dernier toro prend quatorze piques, tue trois chevaux et fait deux vueltas al ruedo. A Cadix, le lot prend  cinquante piques pour vingt deux chutes et vingt trois chevaux au matadero. La légende Pablo Romero se met en place renforcée par les succès remportés et la mort du novillero Fabrilo en 1899.

En 1903, Pablo y Romero devient Pablo-Romero. En 1906, pour la corrida de la Presse à Madrid, le lot est exceptionnel mais les matadors sont bredouilles. Felipe meurt cette même année avec le sentiment d’avoir atteint son objectif: se faire un nom avec un toro brave au cheval.

La stabilisation du morphotype de l’encaste

Son fils, prénommé lui aussi Felipe, prend le relais. Son objectif sera d’affiner et stabilisser le modèle Pablo Romero. C’est lui qui va créer ce qui sera l’encaste Pablo Romero. Le Marquis de Saltillo meurt, sa veuve est une sœur du créateur de l’encaste. Felipe devient de 1914 à 1917, l’exécuteur testamentaire du Marquis. Ses cardeños paissent tout à côté des Pablo Romero

Felipe entreprend quand il succède à son père un travail de sélection drastique. Il va rechercher à renforcer l’influence Gallardo pourtant minoritaire en 1906. Petit à petit il modèlise le Pablo Romero moderne. Bien qu’il l’ait toujours nié, il complète(rait) sa sélection par des apports Saltillos. Les robes des toros s’uniformisent et c’est le cardeño qui domine. L’encaste Pablo Romero est née même si quelques réminiscences des autres origines ressurgissent. C’est d’ailleurs un jeu pour les « spécialistes »  de retrouver les diverses influences .

Quel fut le pourcentage de Saltillo, quelles lignées ont été privilégiées? C’est un secret que Felipe emporta dans sa tombe. Ce qui est certain, c’est que le type de l’encaste fixé, débutèrent les années de gloire pour la ganaderia.

Les grandes années

Joselito va toréer et triompher devant plus de cent toros de son ami Felipe. Belmonte en fit de même, bien qu’il les ait moins affrontés après le drame de Talavera. En 1935, à Madrid, El Niño de la Palma fait la meilleure faena de sa carrière devant Gallinero. Domingo Ortega combat 57 corridas de Pablo Romero. Il triomphe en particulier à Dax en 1933. En 1939, c’est Manolete qui coupe quatre oreilles et une queue au Puerto de Santa Maria. Les grandes arènes s’arrachent les produits de la ganaderia.

Le début de l’ère de José Luis

Malheureusement Felipe, celui qui menait avec de fer l’élevage meurt en août 39. Les terres reviennent en indivision à son frère José Luis (père de 10 enfants) et les deux fils et trois filles de Felipe. José Luis a œuvré avec son frère à créer le Pablo Romero moderne. C’est un ganadero sérieux, compétent et rigoureux. Il est froid et ne se mêle pas aux gens du mundillo. L’important c’est que ses toros soient excellents en piste. Et excellents, ils le sont.

José Luis, un ganadero intègre

Pourtant Les relations vont se tendre avec Manolete. Le ganadero refuse d’afeiter ses toros et cela ne plait pas à l’entourage du torero. En 1941 le, cordouan boycotte les toros de Pablo Romero et refuse de paraître dans les Férias où ils sont programmés. José Luis ne cède pas. Le conflit s’apaise en 1944. Le Calife de Cordoue ne torera plus de Pablo Romero mais son apoderado ne s’opposera plus à leur pré sence dans les arènes importantes.

Homme intègre, José Luis refuse de vendre, comme certains de ses confrères, des novillos engraissés pour des toros de quatre ans. Les triomphes s’enchaînent à Madrid, Bilbao, Pampelune, Valencia et Valladolid. En 1951, Antonio Ordoñez coupe, à Santander, deux oreilles et la queue à un toro berrendo. Cette robe rare chez Pablo Romero disparaitra dans les années soixante. José Luis est un scientifique . La sélection est impitoyable.  Il regroupe sementales et vaches,en fonction des objectifs d’amélioration qu’il s’est fixés et des essais qu’il souhaite réaliser. Les résultats sont au rendez-vous.

Les premières tensions familiales

Malheureusement, des tensions commencent à se faire jour en 1955. Pour tenter de les apaiser est créée une société anonyme pour garantir l’avenir de la ganaderia. José Luis en est nommé le gérant mais il est aussi ainsi sous contrôle. A partir de ce moment-là, la sélection semble moins rigoureuse. La famille semble moins faire confiance à José Luis. Des apports de sang Buendia sont réalisés (et bien sûr niés). La nouvelle génération n’est pas aussi aficionada que la précédente. La précédente les associe peu et transmet peu son savoir. Il n’y a aucun livre de tienta. José Luis travaille en solitaire.

Un premier partage a lieu entre José Luis et ses enfants d’une part et les enfants de Felipe de l’autre en 1960. Malgré ces dissensions et dysfonctionnements les toros continuent à triompher que ce soit à Madrid ou à Saint Sébastien. En 1965 Ordoñez revient après trois ans d’absence et triomphe à Las Ventas face à Comilon. Le « sommet » est atteint à Barcelone en 1968, Potrico est indulté à Barcelone. Malheureusement sa carrière de semental ne sera pas à la hauteur des espoirs que sa magnifique prestation avait laissé entrevoir.

La descente aux enfers.

Cet indulto est l’arbre qui masque la forêt. Le même jour à Madrid la corrida est « passable ». Malgré quelques toros intéressants, les Pablo Romero tombent. Les causes sont probablement multiples. Consanguinité, problèmes d’alimentation sont les plus évoqués. Le manque de rafraîchissement du sang Saltillo, le passage dans les cercados d’étalons de Buendia sont également cités. Les ganaderos sont seuls face à cette dégénérescence. Des toros plus petits apparaissent dans les camadas. Le public réclame des gros toros. Les nouveaux Pablo Romero ne supportent pas la surcharge pondérale (et la manière de l’obtenir, suralimentation, pour donner l’illusion du poids).

José Luis qui ne comprend pas et ne supporte pas l’évolution de la Fiesta a passé la main. Son fils Felipe dirige les affaires. Le patriarche décède en 1975. Les choix de Felipe sont contestés d’autant plus que les résultats ne sont pas au rendez-vous. La ganaderia s’enfonce dans le bache.

La fin de l’aventure familiale

Le fils de José Luis meurt prématurément, à cinquante ans à peine, en 1979. Ses frères José Luis puis Jaime prennent le relais Ils sont enthousiastes, surtout Jaime, mais ne sont pas compétents. A la faiblesse, s’ajoute la perte de la caste qui faisait le renom de l’élevage. Les résultats financiers de la ganaderia plombent ceux des autres actifs de la famillle. Toros et Finca sont à l’abandon. José Luis meurt. En 1989, la finca est vendue à un promoteur immobilier qui en fait un hôtel de luxe en vue de l’Exposition Universelle. L’entreprise Bengoa fait une offre pour racheter Herreria pour en faire un parc de panneaux solaires.

L’ultime tentative de Jaime de Pablo-Romero

Jaime, qui a acquis la fibre aficionada, négocie avec Bengoa le rachat du bétail. Il négocie également une promesse de vente du domaine de Partido de Resina (650 ha de marisma). Il met dans l’aventure tous ses biens et s’endette au-delà du raisonnable. Commencent pour lui douze années de difficultés et de privation pour que vive son rêve. Il paie pour apprendre car jamais son père ne l’avait associé à la gestion des toros. Avec l’aide de Manolo, le mayoral, il sélectionne, teste mais les résultats se font attendre (et une partie du mundillo attend sa chute). De 1993 à 1995, trois années de sécheresse et des taux d’intérêt « prohibitifs » condamnent à l’échec ce baroud d’honneur.

En 1996, la décision est prise de vendre. Un groupe d’aficionados nîmois lance une souscription pour empêcher la vente mais ne recueille qu’un tiers de la somme nécessaire. En 1997, Jaime refuse l’offre de Juan Pedro Domecq et vend l’élevage, mais pas le nom, à  Tico Morales  un parvenu comme l’était le premier Felipe de Pablo y Romero.

Fin 1997 s’en est fini pour Pablo Romero.  La ganaderia est vendue et devient Partido de Resina.

Partido de Resina, la science au secours de la caste

Antonio Morales Fernandez s’allie avec José Luis Algora un vétérinaire. La socété agricole Partido de Resina est créée. Le troupeau est au fond du gouffre y compris sur le plan sanitaire. Les efforts de rigueur en matière de sélection ont toujours porté sur les vaches, et se limitaient à la tienta. La gestion a toujours été plus intuitive que scientifique. On laissait ensuite vaches et sementales ensemble. Impossible de remonter les filiations à partir des mâles. Les conditions de vie et les maladies font que les sementales mourraient au bout de deux ans. Les livres de tienta ne datent que des années 70. Le premier lot de vaches attribué spécifiquement à un reproducteur l’a été pour Potrico en 68.

Retrouver l’encaste originel.

On l’a bien compris, il ne s’agit pas de sauver une ganaderia mais de préserver un encaste historique.

Sans être caricatural , on peut écrire que la caste pure des Pablo Romero est présente mais emprisonnée dans une gangue accumulée au long des années de non-gestion des lignées. Le travail de José Luis consiste dans un premier temps à retrouver le génome spécifique et originel de la ganaderia. Les outils modernes de séquençage sont utilisés. Les analyses ADN montrent que Pablo Romero est bien un encaste complètement différencié des autres.

Certaines croyances sont battues en brèche (dont l’apport des deux sementales de Saltillo) avec une certaine marge d’incertitude toutefois). Le plus important à partir de la génétique, des tientas, du suivi des lignées, est de recréer des familles se rapprochant le plus possible du Pablo Romero originel. Le travail est d’autant plus complexe qu’il s’inscrit dans un contexte d’évolution des attentes du public et des toreros vis-à-vis du bétail.

Les premiers résultats et après

La ganaderia est devenue un vrai laboratoire des techniques modernes d’élevage des toros braves. Séquençage génétique de tout le troupeau, congélation d’embryon ne suffisent pas. L’alimentation est aussi travaillée, analysée, suivie, améliorée. Deux ans après le rachat, Joyerito rafle tous les prix de la San Isidro. En 2002, une corrida sort exceptionnelle à Arles. Et puis en 2005, catastrophe, des erreurs d’utilisation de machines de mélange et de mauvais dosages alimentaires, les toros tombent. Les acheteurs se font rares. Après correction du problème, vingt toros sont toréés à Puerta Cerrada et ne tombent pas.

Un parcours semé d’embûches

En 2007, une nouvelle catastrophe. Une épizootie de brucellose oblige à abattre 75% du troupeau. Peu de toros sortent jusqu’en 2011 , le temps de stabiliser l’état sanitaire du troupeau. Heureusement les ressources financières de la ganaderia permettent de faire face aux aléas et de financer le travail de reconstruction.

La tâche est d’ampleur, les moyens mis en œuvre aussi. Les années à venir donneront peut-être une réponse à cette question : « la science peut-elle redonner vie à la caste perdue ? »

Synthèse

Compte tenu de la complexité du patrimoine génétique de Pablo Romero et cette sélection « à l’ancienne », les résultats obtenus par Felipe puis José Luis et surtout leur durée relèvent du miracle ou de l’extraordinaire intuition d’un homme. On comprend mieux les causes du bache subi par cette prestigieuse gananaderia et l’ampleur de la tâche qui attend José Luis Algora.

L’encaste est aujourd’hui, très fragile. Il n’est présent que dans une ganaderia avec un effectif de 116 vaches pour 3 sementales.

Caractéristiques morphologiques principales.

  • Ils sont bas, courts
  • Larges et cylinfriques, ils sont très volumineux et lourds
  • Les cornes ont une forme de crochet. Elles sont sombres , plutôt de moyennes à longues.
  • Les robes sont negras ou cardeñas.
  • Leur profil est concave, la tête petite et large , les yeux grands sont implantés haut (cf Saltillo)
  • Leur cou est court et le morillo proéminent.

Comportement en piste.

Premier tiers
  • Très agressifs, compliqués et dangereux à manipuler au campo.
  • Ils sortent abantos.
  • Braves, ils chargent dès la mise en suerte.
  • Ils poussent en mettant les reins.
Second tiers
  • Charges rapides et fortes
  • Rématent aux planches
Troisième tiers
  • Physiquement, ils ont du mal à humilier, il faut les citer à mi-hauteur.
  • Ils ont du poder et de la resistance.
  • Ils doivent être cités à distance. Ne supportent pas une lidia en rond sur un terrain réduit.
  • Ne répètent que s’ils sont cités de loin.
Faits et toros marquants de l’histoire de l’encaste.
Les premiers triomphes
  • Cuchillero, premier toro de Pablo Romero lidié dans les arènes de Madrid le 4 avril 1888, estoqué  par Rafael Guerra « Guerrita », il a pris 14 piques et fait deux vueltas al ruedo.
  • Cigüeño, Real Maestranza de Sevilla le 31 mai 1888, vuelta al ruedo
  • Rayadito, n.º 61, negro entrepelado, lidié par Joselito El Gallo le 30  mai 1917 à Madrid, le torero coupa  une oreille et fit deux vueltas al ruedo.
  • Gondolero, lidié par Juan Belmonte le 16  mai 1919  dans les arènes de Madrid.
L’ère moderne
  • Chaparrito, n.º 35, negro mulato albardado, Plaza de toros de Valladolid le 27 deptembre 1942, vuelta al ruedo.
  • Rizador, n.º 25, de 331 kg en canal Las Ventas le 13  mai 1951, meilleur toro de la Feria de San Isidro.
  • Gavito, de 326 kg en canal   Plaza de toros de Vista Alegre (Bilbao) le 22 août 1954, meilleur toro de la feria.
  • Collarito, n.º 25, negro zaíno, Plaza de Toros de San Sebastián le 16 août 1960, vuelta al ruedo.
  • Cubano, n.º 3, negro zaíno, Las Ventas le 22 mai 1960, vuelta al ruedo.
  • Tremendo, n.º 39, 605 kg, lidié dans les arènes de San Sebastián le 23 août 1964, vuelta al ruedo.
  • Relamido, n.º 26, lidié Plaza de toros de Valencia le 25 de junio de 1967, toro le plus brave de la Feria de San Jaime.
  • Potrico, n.º 59, de 513 kg, indulté Plaza de toros Monumental de Barcelona le 23  mai 1968  par Andrés Hernando.
  • Serranito, n.º 69, 312 kg en canal, lidié par Paco Camino, Las Ventas le 29 mai 1971, meilleur toro de la Feria de San Isidro et faena historique du torero
  • Chivito, de 651 kg, lidié le 12 juillet 1987 Plaza de toros Monumental de Pamplona par Luis Francisco Esplá, blessa gravement le picador Victoriano Cáneva.​
  • Garrofillo, n.º 46, cárdeno, de 585 kg, lidié par Tomás Campuzano, Plaza de Toros de San Sebastián le 9 août 1999, toro le plus brave désigné par la Unión Guipuzcoana de Peñas Taurinas.
  • Realero, n.º 57 negro mulato de 525 kg, lidié le 16 août 2011 Plaza de toros de Ciudad Real par Antonio Ferrera, vuelta al ruedo.
Principales ganaderias de l’encaste en Espagne.
  • Une seule et unique Partido de Resina
Principales ganaderias de l’encaste en France.
  • encaste non représenté en France.

Sources : www.terresdetoros.fr, Corps des Présidents et Alguaciles de corridas, Terres Taurines, Chaine You Tube « Les Encastes »

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