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Laurent Langlois « c’est ma dernière temporada »

Laurent Langlois « c’est ma dernière temporada ». Cela fait dix huit ans que Laurent Langlois arpente les ruedos sur un cheval de piques. L’heure est venue pour lui de tirer sa révérence et 2024 sera la dernière saison de sa carrière. Pour Tertulias qui l’a rencontré, il fait le bilan et retrace les étapes de son parcours.

Tertulias : « Comment es-tu devenu picador ? »

Laurent Langlois : « J’allais souvent en Espagne dans un élevage à Buena Madre. J’allais dans cet élevage parce que je voulais travailler avec les toros. J’avais envie de devenir banderillero mais j’étais encore indécis. Pour apprendre et mieux connaître les toros, les élevages et le milieu, j’y montais à cheval depuis deux ans. Un jour, en 2001, le ganadero s’est cassé le tibia et le péroné. Il y avait un tentadero de six vaches et personne pour piquer. Ils m’ont mis à cheval et j’ai piqué. Cela m’a plu et ensuite j’ai fait la saison des tientas. La première fois cela s’est bien passé et ensuite j’ai enchaîné. »

Tertulias : « Comment t’est venue l’idée de faire carrière dans les toros ? »

Laurent Langlois : « C’est ma passion. J’ai « baigné » dans les chevaux depuis mon enfance J’ai la passion des toros depuis tout petit. Mon père allait aux arènes. Il était alguacil à Bayonne, Dax et Tyrosse. Il l’a fait pendant 25 ans. Très jeune, j’ai trainé dans les patios de caballos. Je suis presque né dedans. Je donnais des coups de main à pied dans des tientas. Commme il n’y avait pas d’écoles, souvent tu arrivais tard dans le métier surtout en France. En 2001 j’avais 26 ans. »

Tertulias : « Quel a été ton parcours à partir de 2001 ? »

Laurent Langlois : « J’ai commencé par des tientas, des fiestas camperas et des festivals. C’est le parcours obligatoire des piqueros. Tu dois faire quatorze tientas de vaches.  Après il faut participer à dix festivals et piquer une vingtaine de toros en privé. A chaque fois, tu fais signer ton carnet de suivi. C’est le règlement appliqué en Espagne et par lequel je suis passé. En France, il n’y en a pas. J’ai fait tout mon parcours, puis je suis rentré dans la cavalerie d’Alain Bonijol. Ce n’est pas un passage obligé mais pour moi nécessaire car très formateur. Tu rencontres des professionnels, tu t’imprègnes de l’ambiance. Tu peux échanger avec des picadors. »

Tertulias : « Comment fait-on pour passer de tentadero à festival ? »

Laurent Langlois : « J’ai fait savoir aux toreros que j’avais envie de continuer mon apprentissage de picador. J’ai piqué pour Patrick Varin, Stéphane Fernandez Meca, Serafin Marin et d’autres toreros espagnols. Ils m’ont pris parce que j’avais piqué dans les ganaderias où ils tientaient. Ceux qui néanmoins m’ont fait démarrer, ce sont essentiellement des Français. C’était la mauvaise époque pour débuter car il y avait sur le marché français Michel Bouix, Fritero et Jacques Monnier. Ils ne voyaient pas d’un trop bon oeil l’arrivée d’un petit nouveau. Ce ne fut pas toujours facile. Par exemple pour un festival à Caissargues où Patrick Varin m’avait invité, ils ont insisté pour que je pique en premier. Bien entendu, j’ai eu droit à un toro d’Olivier Riboulet qui était monstrueux et faisait plus de 600kgs alors que les autres étaient des novillos. C’était mon troisième festival. L’année suivante, rebelote avec un Coquilla de Sanchez Arjona, un tio de toro qu’a toréé Fernandez Meca qui l’a indulté. Comme les deux fois, ça s’est bien passé, je les ai senti quelque peu chagrinés. Il a fallu jouer des coudes pour se faire une place; »  

Tertulias : « Comment est-ce que l’on apprend à piquer ? »

Laurent Langlois : « On apprend en faisant. Il n’y a pas d’école. Celui qui m’a le plus appris et transmis, c’est Olivier Riboulet et après les picadors espagnols.  L’apprentissage se fait aussi en observant les autres et bien entendu en pratiquant.

Tertulias : « Qu’as-tu ressenti quand tu as piqué pour la première fois ? »

Laurent Langlois : «  Je me suis senti pas très à l’aise. Les vaches, j’avais l’habitude de les voir d’en bas. Sur ton cheval, devant des toreros aguerris et avec une vache de trois ans, costaude et armée, tu te dis qu’il vaut mieux bien faire les choses pour ne pas subir les foudres des professionnels. Tu as la confiance du ganadero, c’est donc plus stressant finalement qu’une corrida. Les deux premières vaches, je ne me suis rendu compte de rien. Je les ai loupées, je n’arrivais pas à les piquer mais je n’ai pas vu le temps passer. Il y en a une qui est venue six ou sept fois au cheval mais j’avais l’impression de n’avoir mis qu’un puyazo. Au fur et à mesure tu te détends et cela devient intéressant.

Au début tu es timide. Tu es sur le cheval avec la peur de mal faire. Ensuite tu comprends les choses, tu te déplaces mieux avec ta monture, mais tu es quand même seul. Par la suite, j’ai beaucoup travaillé avec Richard Millian. Il m’a appris les approches, le déplacement du cheval. Dans les tentaderos, j’ai travaillé avec lui comment attaquer les vaches et les toros. J’ai compris l’importance du croisement, des terrains. » 

Tertulias : « Quand as-tu toréé en novillada pour la première fois ? »

Laurent Langlois : « C’était en 2006 à Soustons. J’ai piqué pour Antonio Joao Ferreira.  J’ai fait pas mal de courses cette année-là. L’année d’après, je suis allé à Madrid. J’ai toujours eu une carrière sans trous d’air. Je fais entre 20 et 30 courses par an en France et en Espagne. J’ai même eu une année à 40 mais ce fut une année extraordinaire. En 2023, j’en ai piqué 29. »

Tertulias : « La première fois en costume comment t’es-tu senti ? »

Laurent Langlois : « Bien, mais j’étais stressé. Je n’avais pas très bien dormi depuis cinq jours. Quand j’ai mis le costume, j’ai eu de l’appréhension.  J’étais prêt à torééer car j’avais piqué pas mal de « mammouths » en privé. Donc dès que je suis monté sur le cheval pour entrer en piste,le stress est parti, j’étais impeccable. Il y avait juste Agustin Losada qui me dirigeait un peu. ».  

Tertulias : « Se sent-on torero quand on est picador ? »

Laurent Langlois : « Au début pas vraiment. J’étais très timide et réservé. C’était difficile pour moi de me mettre en avant. Paco Tapia qui m’a appris le métier m’a toujours dit que le picador devait se faire discret. A l’époque, seul Tito Sandoval se mettait en valeur et ce n’était pas forcément bien vu. Je suis resté deux ou trois saisons très en retrait dans l’arène, limite on ne savait pas que j’étais là. Petit à petit j’ai commencé à m’extérioriser et à prendre mon style. »

Tertulias : « Comment les cuadrillas espagnoles perçoivent-elles un piquero français ? »

Laurent Langlois : « Quand elles sont en France, elles nous considèrent comme de vrais professionnels. Mais, au début, quand tu es en Espagne, on te fait sentir que tu n’es pas le bienvenu. Ils te font quelques misères parce tu viens prendre le poste d’un picador local. Si tu torées avec des Français cela va à peu près. Si tu es avec un Espagnol, c’est plus difficile. Les premières années, tous les chevaux qui ne fonctionnaient pas bien, étaient pour le Français. Encore un peu aujourd’hui, car les cuadrillas sont montées par les Espagnols. Pourtant nous sommes que cinq sur le marché ce qui est peu par rapport à eux. »

Tertulias : « Combien faut-il avoir fait de novilladas pour piquer en corridas ? »

Laurent Langlois : « En France il n’y a pas de quota contrairement à l’Espagne. Il faut avoir piqué 35 novilladas pour pouvoir le faire en corrida. Les corridas piquées en France sans avoir déjà eu la quota nécessaire en Espagne ne sont pas validées et, pour les Espagnols, tu restes un aspirant et tu ne peux pas piquer en corrida. »

Tertulias : « Qu’est ce tu as ressenti la première fois à Madrid ? »

Laurent Langlois : « La première fois, c’était avec Mario Dieguez. Cela m’a moins impressionné que Séville et je n’ai jamais toréé à Las Ventas devant des gradins garnis ce qui enlève de la pression. C’est une arène que je connaissais bien en tant qu’aficionado. J’avais accompagné la cuadra de Garcia et j’en connaissais donc les coulisses. Séville est plus prenant. Je n’y étais jamais allé. Les arènes sont ancrées dans la ville, le public est plus chaleureux. »

Tertulias : « Avec qui as-tu le plus toréé ? »

Laurent Langlois : « Avec Yannis « El Adoureño », Antonio Joao Ferreira et Mathieu Guillon. »

Tertulias : « Dans ta carrière, qu’elles ont été les courses qui t’ont marqué ? »

Laurent Langlois : « Il y en a plein. Il y a une course avec Yannis à Peralta avec un toro sérieux qui est parti de l’autre bout de la piste. qui du coup malgré un petit ruedo me paraissait bien grande. J’ai ressenti de belles sensations. Il y a eu une novillada forte de Fuente Ymbro avec Mathieu Guillon où j’ai pris un coup de corne lors d’une grosse chute. Cette course m’a marquée dans les deux sens du terme. C’est une des premières fois où je me suis senti en difficulté avec un toro hors norme et dangereux. J’ai eu une vraie montée d’adrénaline. C’est contradictoire mais ce sont des moments qui te restent dans la tête. C’est ma première grosse correction.

Il y a la novillada d’El Retamar à Vic. Ce jour là il ne fallait pas laisser de répit au toro et je l’ai attaqué en permanence. Cela a donné du jeu, a été spectaculaire. La musique a joué. Je suis sorti sous l’ovation. Cette année, j’ai vécu un très grand moment en piquant la corrida de Prieto de la Cal à Cenicientos. J’ai mis quatre puyazos, Avec le toro partant du centre à la première et les trois autres à l’opposé du toril. J’ai mis quatre fois le palo parfaitement au bon endroit. Ce Prieto faisait plus de six cents kilos. C’était le tio de la course.  Je piquais pour Cuqui, un matador portugais qui a vécu, ce jour-là, une après-midi difficile. Là aussi, je suis sorti sous l’ovation. »

Tertulias : « Comment tu vis cette journée où tu es ovationné alors que ton torero prend trois avis ? »

Laurent Langlois : « A la base, satisfait de ce que j’avais fait. Après cette course, qui a été dramatique, les gens sont venus me voir pour me féliciter. J’aurais aimé que tout le monde triomphe mais ton ego, ta fierté font que tu es quand même content de toi. Mon travail a été bien fait. Le toro a été piqué et bien piqué. Je reçois une belle ovation. Le responsable de la cuadra, qui doutait des capacités de son cheval à tenir face à un tel toro, m‘a félicité.

Avec Yannis, je pense que je n’aurais pas vécu les choses de la même manière. A Vic, il m’a manqué quelque chose même si je suis sorti des arènes sous l’ovation du public debout. Avec lui j’ai piqué une corrida monstrueuse de Dolorès Aguirre. Quand tu souffres et que cela se passe bien tu es content d’avoir souffert. »

Tertulias : « Quand tu prends une « rouste », comment gères-tu la peur après ? »

Laurent Langlois : « Ce n’est pas de la peur, c’est de l’appréhension. Si tu as de la peur, il faut que tu arrêtes car cela veut dire que tu n’y es plus et que tu vas mettre du monde en danger. Je ne sais pas comment les toreros à pied le gèrent. Pour ma part, je sais que dès que je monte sur le cheval, j’évacue toute la pression. La pression, je me la mets avant ou après quand tu n’as pas été bien mais pas pendant sur le cheval. A partir du moment où tu montes sur le cheval, surtout si tu as un cheval un peu mobile avec qui tu te mets en confiance tout de suite, l’appréhension s’en va. Tu rentres en piste, tu es dedans. La course de Prieto, avant elle m’a fait souffler, pendant j’ai effectué mon travail et cela s’est bien passé. Je suis descendu du cheval avec le sourire. »

Tertulias : « Comment s’annonce la temporada 2024 ? »

Laurent Langlois : « Cette année sera pour moi la dernière. J’arrête à la fin de la temporada. »

Tertulias : « Comment va se passer cette dernière année ? »

Laurent Langlois : « J’espère que tout le monde va jouer le jeu et que je vais toréer un maximum de courses. Pour l’instant rien n’est fait mais j’ai déjà eu des demandes. En France pour l’instant je n’ai rien. Le problème est que chez nous, on ne joue pas suffisamment le jeu. On pourrait imposer un minimum de picadors et banderilleros français dans les cuadrillas qui sont montées pour toréer en novilladas ou corridas dans les petites arènes. En France, on ne s’est jamais mobilisés pour revendiquer cette sorte de quota.

En Espagne, dans certaines provinces, tu n’as pas le droit de toréer si tu es Français. Il m’est arrivé d’être enlevé de cuadrillas au dernier moment parce que je suis Français et mettre le local imposé par l’organisateur. Il m’est difficile de supporter que des toreros que l’on a accompagnés dans leurs entraînements au début ne nous prennent pas quand ils montent en piquées. Honnêtement j’arrête parce que je suis déçu du mundillo, de me battre et de faire plaisir sans avoir forcément de retour. Pourtant j’aime ce mundillo. Je l’ai défendu et je continuerai à le défendre. »

Tertulias : « Est-ce cela ne va pas te manquer ? »

Laurent Langlois : « Non car j’ai des ganaderias chez qui je continuerai à aller par amitié. Avec les tientas chez eux, je serai bien occupé en hiver. J’ai un projet qui verra peut-être le jour. Seul ou en association, j’aimerais monter un « centre d’apprentissage » de picadors (qui n’existe nulle part). Je veux créer quelque chose pour des aficionados. Ils viendraient apprendre à habiller un cheval, s’entraîner. Ce serait aussi ouvert à des jeunes motivés qui veulent être picadors. C’est plus compliqué que de toréer à pied face un carreton. Il faut commencer par prendre des cours d’équitation dans un centre équestre. J’ai ce projet en tête. Il faut que je le murisse mais je ne vais tout laisser tomber. »

Tertulias : « Comment rêverais-tu de terminer lors de ta dernière course? »

Laurent Langlois : « J’aimerais faire un seul contre six en piquant tous les toros d’une course. Cela ne s’est jamais fait. Je le ferais avec mon ami Mathias Forestier de second. C’est compliqué voire impossible. Physiquement et pychologiquement ce serait difficile quand car tu as la responsabilité de la vie d’un matador, des banderilleros. Gérer un toro et un cheval en mouvement avec un palo lui aussi en mouvement n’est pas chose aisée alors le faire six fois d’affilée…C’est un métier très compliqué. Le puyazo parfait je l’ai mis parfois mais avec une part de chance. »

Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul.

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