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Paroles de président Philippe Lalanne

Paroles de Président : Philippe Lalanne

Loués ou critiqués, les présidents de corrida n’ont pas toujours la vie facile au palco. Avec leurs deux assesseurs, ils sont garants du bon déroulement du spectacle taurin. Leurs mouchoirs par leur nombre ou leur couleur sont lourds de sens quand ils apparaissent aux yeux de tous. Tertulias est allé à la rencontre de ces acteurs importants d’une corrida afin qu’ils nous parlent de la corrida vue d’en haut!

Philippe Lalanne a présidé pendant près de 40 ans. S’il fait partie des expérimentés du palco, pour sa première présidence à 20 ans il a été (et est toujours) le plus jeune président de corridas en France. Il a coupé avec les mouchoirs, pendant quinze ans, quand il a intégré un temps la commission taurine de Dax. Il a retouvé les palcos et a decidé en 2023 de prendre sa retraite présidentielle après avoir présidé à Vic et chez lui à Dax pour sa dernière.

Tertulias : « Comment es-tu devenu aficionado ? »

Philippe Lalanne :« Cela remonte à très loin. Mes parents m’ont amené aux arènes, ce n’est pas très original. J’ai vu ma première corrida à l’âge de quatre ans sur leurs genoux. Cela m’a plu. Quand j’étais petit, j’allais à toutes les corridas avec eux à Dax. J’ai eu ensuite la chance d’intégrer la Peña Alegria à l’âge de 18 ans. Cela m’a permis de vivre ma culture taurine avec la Peña et avec des amis. J’ai pu aller au campo, voir les corridas en Espagne. »

Tertulias : « D’aficionado à président comment s’est déroulé ton parcours?

Philippe Lalanne :« Il y avait à l’époque un président de commission taurine à Dax qui était « un petit peu fou ». Il lançait les jeunes dans les présidences. A l’âge de 18 ans, Pierrot Molas, c’est lui dont il s’agit, que je connaissais par ailleurs, m’a proposé de monter au palco pendant les fêtes. Cela m’a énormément plu et d’une année sur l’autre, c’est une passion qui m’a pris. Je fais partie des aficionados qui aiment être au palco. Je suis un passionné et cela m’a donné la possibilité de prendre des responsabilités dans le déroulement de la corrida. C’est quelque chose qui m’a intéressé et qui m’a suivi pendant de nombreuses années.

J’ai commencé par être assesseur deux ou trois fois. Ensuite j’ai présidé ma première corrida pour les férias de Dax, à vingt ans. J’étais entouré de costauds, il y avait du lourd avec moi. Jacques Pène et Gilbert Cazes m’ont rassuré et orienté. Commencer dans ces conditions-là, c’est quand même plus confortable. Je me souviens encore de la pression quand je suis monté. Une pression très forte mais avec mes deux assesseurs expérimentés, cela a été plus facile.

On m’a demandé de monter parce que j’étais un passionné. Je participais à tout ce qui entourait la corrida. J’étais un jeune aficionado fou. Je voulais tout faire, participer à tout. J’étais à l’apartado, j’allais voir les toros dans les corrales. C’était une manière de me récompenser. »

Tertulias : « Quel est pour toi le rôle du président avant et pendant une course ? »

Philippe Lalanne :« Le rôle comporte des fonctions assez basiques. Il doit faire respecter le règlement. On doit changer les tercios et donner les trophées. Je crois que plus que tenir un rôle, il faut avoir un comportement quand on est à la présidence. C’est comme les arbitres, moins on les a vus,  meilleurs ils ont été. Le Président n’est pas une partie intégrante du spectacle. C’est le rôle des professionnels.

Le président participe, accompagne. Il doit intervenir avec beaucoup de souplesse et de sensibilité. Je crois que pour présider des corridas, il faut avoir cette sensibilité taurine et de l’aficion. Plus qu’un rôle, c’est un état d’esprit. Même si cela ne se passe pas toujours comme on le souhaite car de temps en temps il faut se montrer, prendre des décisions qui sont compliquées à faire accepter. Mais si on peut se faire discret ce n’en est que mieux.

 Avant la corrida, c’est beaucoup de concentration. J’essaie de m’isoler avant de monter au palco. C’est un moment de solitude très important. Par contre, je vais voir les toreros avant la corrida pour me présenter. Je leur demande s’ils ont des points particuliers ou des recommandations à faire mais je ne leur donne pas de conseils. Je n’en ai pas la capacité, et ce sont eux qui prennent les risques. Il faut garder une certaine humilité. Par contre, lors d’une corrida concours, on échange avec eux sur les attentes du public et des organisateurs. Il n’y a jamais de recommandations ou de consignes. En plus, les picadors ne sont pas très à l’écoute quand on fait des préconsisations. »

Tertulias : « Durant une corrida faut-il laisser la place à l’esprit ou bien appliquer strictement le règlement ? »

Philippe Lalanne :« Je pense qu’il faut savoir être souple. Quand le spectacle se passe bien, on a tendance à être un peu plus souple par exemple pour ce qui concerne le temps. S’il y a une faena qui monte, quand le public vibre, quand on est à dix minutes pile, je suis un peu moins à cheval sur les avis. Si cela se passe difficilement en piste, que le spectacle est long et pénible, je suis ponctuel sur les avis.

L’esprit a de plus en plus d’importance parce qu’on a aujourd’hui dans le public des gens qui ont moins de culture taurine surtout depuis un an ou deux. Ils ne comprennent pas si on fait preuve de trop de rigueur. Il faut quand même savoir respecter tous les fondamentaux car sinon cela peut partir très vite en vrille. Il n’en reste pas moins que l’esprit est très important. »

Tertulias : « Comment gères-tu la pression du public? »

Philippe Lalanne :« Cette pression, elle est forte. Quand on est dans des arènes comme Vic, Mont de Marsan, Dax on a le public autour de nous. On est habitué à la supporter sinon on ferait autre chose. Il y a des aficionados qui n’ont pas continué à présider car ils ne la supportaient pas. Même si de temps en temps on ressent un peu d’agressivité, tout cela reste quand même bon enfant du moins chez nous dans le Sud-ouest. 

Quand on prend une bronca, et j’en ai pris, à la sortie d’une corrida on n’est jamais agressé. Après être insensible à la pression, ce n’est pas possible. On l’est tous, au moins inconsciemment. Quand cela monte, que l’on se fait siffler, il faut savoir être solide et garder de la sérénité. Le règlement nous y aide grandement car il nous aide à justifier des décisions.

La pression du public fait partie du job. Quand on est en Féria, les gens ont fait la fête la veille, un bon repas à midi et ils peuvent être agressifs si cela se passe mal. Mais sincèrement je n’ai pas eu de problème. »

Tertulias : « As-tu déjà regretté des décisions prises? »

Philippe Lalanne : « Des décisions prises que l’on regrette, il y en a toujours. Ce peut être, donner un trophée en trop, que l’on ne sentait pas mérité et la pression du public a été forte. Il y a des décisions que l’on peut être amené à prendre pour être en osmose avec le public mais dans l’ensemble, il n’y en a pas beaucoup mais cela m’est arrivé quand même.

Les changements de toros ont toujours été ma hantise. Nous ne sommes pas des professionnels, des vétérinaires. Le toro qui sort avec une boiterie et de la faiblesse a peut être une ankylose, un muscle froissé. Il faut se rappeler qu’il a fait le trajet en camion, qu’il est resté dans les corrales pendant une semaine.

Quand on le lance en piste avec une accélération, une puissance folle, il arrive qu’il ait des petits problèmes musculaires qu’il surmonte très vite. On doit prendre une décision extrêmement rapidement, si on veut le changer avant la pique. Le problème, c’est qu’avant la pique, il n’y a que cinq ou six passes de cape pour juger. Je préfère toujours attendre et je me suis rendu compte au fil des années que neuf fois sur dix , c’est un toro ankylosé qui récupère après.

Il ne faut pas se précipiter. Personnellement, je me fie souvent aux professionnels en piste. On le voit à leur visage. Quand ils sentent que c’est une boiterie vraiment ferme, ils vous regardent. En général cela a pas mal fonctionné, même si de temps en temps, j’ai été obligé de faire un changement après la pique.

Pous l’anecdote, il y a assez longtemps, il y avait une corrida de Guardiola à Dax. Il sort un toro qui se met au centre de la piste et reste figé tel un bloc de marbre pendant six à sept minutes. La bronca du public est impressionnante. On sait en tant qu’aficionado qu’un tel toro peut réagir à la pique et devenir un grand toro. J’hésitais à le changer. J’étais prêt à craquer, Luis Francisco Espla se tourne vers moi et me fait signe d’attendre. Le toro a été piqué et il a été un toro extraordinaire à qui Espla a coupé deux oreilles.»  

Tertulias : « Est-il facile de laisser son goût personnel en dehors du palco ? »

Philippe Lalanne : « Oui et c’est indispensable. En matière de tauromachie, j’ai mes goûts et mes préférences. Au palco, je fais abstraction de tout cela. Il faut être en harmonie avec le public. Il faut que notre conception de la tauromachie reste au vestiaire. Sinon il ne faut pas monter au palco. Nous ne sommes pas là pour se faire plaisir. On ne peut pas parce qu’un torero nous plait le récompenser plus qu’un autre.

On discute après la course de ce qu’on a aimé et pas aimé. Il est possible d’être influencé inconsciemment mais il y a le public qui exprime sa vision des choses. Même si on n’aime pas trop, on sent vibrer le public. On l’a vu cette année avec Luque à Dax. Il fait une belle faena, bien faite. Avec les assesseurs on pensait ne mettre qu’une oreille et puis voir après comment cela allait se passer. Après avoir lâché une première oreille, le public était en délire et allait nous « scalper » si on ne mettait pas la seconde. Dans ce cas, c’est le public qui décide.»

Tertulias : « Qu’attends-tu de tes assesseurs ? »

Philippe Lalanne :« On prend les décisions à trois et on discute beaucoup. J’aime bien anticiper les choses. Quand la faena arrive à terme on est déjà dans le choix des trophées. Il faut anticiper afin de prendre notre décision rapidement.  J’aime beaucoup faire les choses en commun. C’est un travail collectif. C’est pourquoi c’est une erreur, quand on dit que l’on peut mettre un assesseur expérimenté avec une personne à qui on veut faire plaisir, car on a besoin de tout le monde au palco.

Quand on est dans le doute, heureusement que l’on a les assesseurs à côté de soi. Ils ont moins de pression que le président sur lequel le regard des gens se concentre. Ils sont de bon conseil. En général, on se connait déjà sinon on se voit avant la course, on déjeune et on discute ensemble. On apprend à se connaître. Il est rare que cela se passe mal. Il est important de se faire confiance surtout quand on a une grosse pression. »

Tertulias : « Désigné par les organisateurs, sans autorité officielle reconnue, un président a-t-il les mains totalement libre par rapport à ses décisions ? »

Philippe Lalanne :« Il est possible d’être indépendant. Je ne dis que c’est facile mais c’est possible. Il y a des arènes où les organisateurs ont été des présidents avant. Ils savent ce que c’est d’être au palco. Ils ont du respect pour la fonction et de la reconnaissance. Il respecte votre rôle et c’est beaucoup plus facile. Ensuite il y a des arènes avec des empresas qui n’y sont jamais monté. Avec eux, c’est un peu plus compliqué parce qu’il y a peut-être, moins ce respect et cette reconnaissance.

Jeune cela ne m’est pas arrivé d’avoir subi des pressions, dans des arènes importantes non plus. Quand cela arrive très rarement, c’est pour une corrida exceptionnelle. Je n’ai pas connu d’empresa qui m’a demandé de mettre des oreilles. De tout façon, dans ce cas je ne serais pas monté au palco. Quand ils ne sont pas contents, l’année d’après, ils ne te rappellent pas et cela se passe tout simplement comme cela. »

Tertulias : « Le règlement taurin a-t-il besoin d’être dépoussiéré ? Si oui sur quels sujets ? »      

Philippe Lalanne :« Je pense que le règlement ne constitue pas un frein à la tauromachie aujourd’hui. Il est plutôt assez souple. Le règlement en France, c’est d’imposer deux piques. C’est utile pour éviter la monopique extrêmement dure et longue. L’imposition des deux a amélioré le premier tiers. Sincèrement, il n’y a pas grand-chose qui me dérange. Si vous me demandez s’il faut changer une disposition du règlement, aujourd’hui je n’en vois pas. 

Peut-être, il y a une question qu’il faut se poser aujourd’hui c’est par rapport à l’indulto. Nous, les aficionados, sur ce point on est un peu rigides sur le sujet. Doit-on accepter plus souvent des indultos? C’est une bonne chose pour l’élevage. le public et l’image que l’on donne à la corrida.

Pour les banderilles, je ne supporte pas de changer à la seconde paire. Il se peut que si le toro est faible ou très compliqué à banderiller, on change avant. La norme c’est trois passages. C’est un moyen de valoriser le tercio de banderilles. Quand on arrête à deux , comme cela arrive, on dévalorise le second tiers et je le regrette un peu. »

Tertulias : « Quels sont tes bons et mauvais souvenirs au palco ? »

Philippe Lalanne :« Les bons souvenirs, ils sont au nombre de trois. Le premier est ancien. J’étais assesseur avec Pierre Claverie comme président. Il s’agit de la corrida de Maria Luisa Perez Dominguez de Vargas à Dax en 1989 avec Manzanarès padre. C’est peut-être la plus belle corrida que j’ai vue. Des années après je m’en rappelle. Moments magiques! Le président avait les trois mouchoirs sur les genoux. On avait décidé de les sortir dès la mort du toro. Manzanarès loupe les deux premières épées. Il s’y reprend à deux fois pour descabeller. Le maestro était désespéré. Malgré cela on lui a octroyé deux oreilles. Le public nous a suivi et le torero nous a remercié au moment où il a reçu les trophées.

Il y a eu ensuite un week-end taurin à Mont de Marsan avec deux corridas télévisées. Il y avait les Victorino le samedi et les Miura le dimanche. Les deux corridas ont été dures, âpres mais sensationnelles. J’ai présidé les deux. Je finis ce week-end complètement épuisé. J’imagine l’état de fatigue des hommes en piste après ces deux corridas avec des toros puissants, costauds avec de la race. C’était à la fois haletant et oppressant. J’ai fini ces deux corridas heureux et complètement vidé. Je crois que pour la première fois je ne suis pas allé boire un coup après avec les amis. Je suis rentré directement à Dax tellement j’étais lessivé. Mais cela reste un grand souvenir.

La troisième est la première corrida concours que je préside à Vic. Je considère que présider cette corrida, c’est un petit peu le Grâal pour nous. Cela a été difficile pour moi parce que j’ai passé une nuit blanche tellement j’avais de tension et de pression. Quand on préside sa première concours à Vic, c’est un moment très fort. C’est particulier. Il faut intervenir au micro pour présenter les toros, les toreros, les piqueros et les chevaux. On a des papiers partout. Le public est extrêmement sérieux, c’est un public de connaisseurs. C’est un moment fort.

Je n’ai pas eu beaucoup de mauvais souvenirs. La corrida la plus difficile à présider pour moi c’est la dernière que j’ai présidé à Mont de Marsan. C’était le solo de Ferrera. Le public voulait que je donne un monton d’oreilles. Il ne se passait pratiquement rien en piste. Les Adolfo Martin sont sortis mauvais mais Ferrera avait fait le spectacle. Il sautait dans tous les sens, il avait fait jouer la musique tout seul. Je n’avais même plus la maîtrise de la musique. Il était monté dans les gradins pour embrasser des gens. Il avait mis une « panique » incroyable tout au long de la corrida.

Du point de vue taurin, il ne se passait rien. Le public était dans un délire total. J’ai fini par donner quatre oreilles et je m’étais fait tirer mes oreilles pour le faire. Le public n’avait pas compris. J’ai pris des broncas phénoménales. Cela a été dur, je ne savais plus quoi faire. J’étais complètement déconnecté du public. Je n’avais plus de solutions. SI je faisais n’importe quoi, on aurait eu des articles parlant de triomphalisme béat. J’ai tenu la corrida comme j’ai pu et c’est la première fois que j’ai été complètement en désaccord avec le public.»

Tertulias : « Quelles sont les qualités que doit avoir un président de corrida ? »

Philippe Lalanne : « Il faut avoir de l’aficion. Mais il faut qu’on la mette dans la poche quand on monte au palco. Il faut avoir une vraie sensibilité taurine. Il faut savoir sentir le public à l’encontre duquel on ne peut pas aller et arriver à trouver un équilibre. Si on perd la sensibilité on ne peut plus monter au palco. Cela ne s’explique pas. On doit ressentir les choses et s’adapter. Il faut se remettre en question à chaque course parce qu’on ne préside pas de la même façon à Dax, Vic ou Mont de Marsan. Chaque course à sa manière d’être présidée. C’est une histoire, une aventure , de la beauté et de la difficulté et il faut s’adapter à tout cela.  »

Tertulias : « Pourquoi as-tu décidé d’arrêter ? Cela ne va-t-il pas te manquer ?»

Philippe Lalanne : « Me manquer, non. La décision a été prise et je ne reviendrai pas en arrière. Si elle a été prise c’est parce que je pense qu’il était temps. J’ai fait le tour de la question. Il faut laisser la place aux jeunes. Il y a beaucoup de jeunes qui sont très bien. J’en ai eu comme assesseurs avec moi, ils ont beaucoup de qualité, peut-être plus que nous à l’époque. Et puis aujourd’hui je ressens un peu moins la sensibilité. Le public est plus festif qu’avant. La culture taurine est moins forte. Je ne me sens pas complètement en osmose avec cela.

Quand on monte au palco, il faut vraiment qu’on ait l’envie et le plaisir. Depuis la fin de l’année dernière, je sentais que cela devenait une petite contrainte. J’ai décidé de n’en faire que deux en 2023. A partir du moment où on commence à sentir que ce n’est plus un plaisir, c’est le moment de s’arrêter. Et je pense qu’il faut mieux que l’on arrête au moment où le décide  plutôt que parce que le téléphone ne sonne plus . »

Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul

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