ActualitésInterviews

Paroles de président: André Roques

Paroles de président : André Roques

Loués ou critiqués, les présidents de corrida n’ont pas toujours la vie facile au palco. Avec leurs deux assesseurs, ils sont garants du bon déroulement du spectacle taurin. Leurs mouchoirs par leur nombre ou leur couleur sont lourds de sens quand ils apparaissent aux yeux de tous. Tertulias est allé à la rencontre de ces acteurs importants d’une corrida afin qu’ils nous parlent de la corrida vue d’en haut!

André Roques,75 ans, est le responsable du Corps de Présidents et Alguazils de Corrida. Il a commencé à présider, dans les années 2005 à Carcassonne. En 2023, il avait décidé de ne plus présider, mais ses amis céretans ont insisté pour qu’il monte au palco pour la corrida de Peñajara. Il s’est proposé d’être assesseur pour assurer la transmission à une nouvelle génération de présidents. Pour lui, il y a un âge où il faut savoir donner la place aux jeunes pour qu’ils enrichissent leur expérience. 

Tertulias : « Comment es-tu devenu aficionado? »

André Roques :« C’est une vielle histoire. Ma première corrida, je l’ai vue en 1957 à Nîmes avec mes parents et quelques amis à eux. J’y suis allé quelques fois enfant mais j’ai passé la vitesse supérieure à partir du moment où j’ai eu un peu plus de loisirs et un peu de moyens. Après mes études, quand j’ai commencé à gagner ma vie, je suis retourné un peu plus intensément aux corridas.  »

Tertulias : « D’aficionado à président comment s’est déroulé ton parcours ?

André Roques :« C’est une demande des gens qui me connaissaient. Je n’ai pas fait de démarches personnelles pour solliciter un palco. Je pense au contraire que monter au palco, c’est un honneur qu’il est difficile de refuser. Mais je n’ai jamais intrigué pour présider. On me le demande et je le fais bien volontiers. Si on ne me le demande pas, je ne vais pas faire des ronds de jambes pour le faire. Pour moi, c’est très simple ou bien on te demande et tu l’acceptes, ou bien on ne te le demande pas et tu restes dans ton coin. C’est quand même plus agréable de voir une corrida des tendidos que du palco. Il faut en avoir conscience. »

Tertulias : « Comment devient-on président de corrida ?»

André Roques :«. J’avais une certaine expérience, conséquence du nombre considérable de corridas que j’ai vues. J’ai sauté le pas sans préparation particulière. Apparemment cela n’a pas déplu et on m’a demandé de recommencer. A ce moment-là et je le regrette, le Corps des Présidents n’existait pas. Roger Merlin l’a créé en 2012. Je m’y suis inscrit dès sa création mais cette formation n’existait pas quand j’ai débuté. J’ai débuté assesseur de mon ami Jean Louis Solier à Carcassonne. Ensuite j’ai alterné la fonction d’assesseur et celle de président. J’ai présidé à Carcassonne, Céret, Mont de Marsan, Saint Martin de Crau, Boujan. »

Tertulias : « Quel est le rôle du président avant et pendant une course ? »

André Roques :« Présider une course c’est avant tout une énorme responsabilité. Avant une course, le rôle d’un président c’est d’établir un rapport de confiance avec tous les intervenants. Si la confiance des organisateurs est acquise dans la mesure où ils font appel à toi. Le plus important consiste à établir ce rapport de confiance avec les professionnels. Il faut les assurer que tu vas t’efforcer de mener la course pour le mieux, mais que le résultat n’appartient qu’à eux-mêmes et aux toros .
ll faut parler avec les cuadrillas le matin et leur expliquer le contexte de l’arène. Par exemple à, Céret ou Saint Martin, il faut leur rappeler que ce sont des plazas toristas, que public se montre très attentif au déroulement du tercio de varas. Parler aux maestros avant la course est plus délicat car ils sont déjà dans leur bulle. Il n’est pas opportun de leur tenir de grands discours. Il faut les aborder sans familiarité mais avec déférence . En général les toreros posent la question du nombre de piques. En effet il y a une différence entre les règlements espagnols et le français. Chez nous, les deux piques sont obligatoires dans toutes les arènes.  
Pendant la course, le président a deux fonctions essentielles : le respect du règlement et celui de l’éthique. Il doit prendre en concertation avec les assesseurs un certain nombre de décisions. Il faut se mettre d’accord avec eux sur ce que l’on voit et anticiper sur l’attribution des trophées. En général, on se met d’accord avant l’estocade.
Au moment du sorteo, son rôle n’est pas d’intervenir dans la constitution des lots mais de veiller à ce que les toros initialement prévus pour être combattus ne soient pas écartés durant l’apartado . Trop souvent, les cuadrillas font pression pour substituer un sobrero à un toro qui paraît plus sérieux. Sur ce dernier point Commissions Tauromachiques Extra-Municipales et organisateurs doivent être très précis et vigilants.  »

Tertulias : « Et au plan administratif? »

André Roques :« Sur les aspects administratifs, ils sont maintenant de la responsabilité des organisateurs, des CTEM, et du médecin responsable pour ce qui concerne l’infirmerie. Cela n’empêche pas de vérifier auprès de l’équipe médicale que tout est sous contrôle. C’est trop risqué de commencer une course avec une équipe médicale ou une infirmerie incomplète.  Il faut toujours se préoccuper de connaître les capacités de l’infirmerie. Lorsqu’un torero est blessé, je demande systématiquement à l’alguazil d’aller demander à l’équipe soignante si on peut continuer ou pas la course.»

Tertulias : « Durant une corrida faut-il laisser la place à l’esprit ou bien appliquer le règlement ? »

André Roques :« Appliquer le règlement à la lettre n’est pas toujours possible , il faut parfois s’adapter à la situation , mais cela doit rester justifié par des circonstances particulières. Par exemple lors du tercio de banderilles, si un toro s’avère excessivement dangereux, assassin, il me parait inutile d’imposer la troisième paire. Pour le reste, je pense que le règlement est là pour être respecté. Il faut se méfier de laisser la place à l’esprit. Je ne suis pas favorable aux notions d’idiosyncrasie que l’on voit apparaître. C’est la porte ouverte à des dérives. On ne doit pas suivre tout ce que le public souhaiterait. On peut admettre qu’existent des particularismes locaux, mais sans qu’ils touchent aux fondamentaux, qu’ils entrainent des dérives.  

Les avis font partie du règlement. Il est sûr que si un torero se profile à la 10ème minute, on va attendre qu’il entre « a matar ». C’est savoir s’adapter à un moment précis. La corrida est un rituel dans lequel, le respect de la chose établie est nécessaire. Je ne pense pas que les présidences qui ne font pas sonner les avis en temps et heure, qui prennent quelques libertés avec le règlement rendent service aux toreros et aux spectateurs.

Je suis pour une certaine rigueur, un respect du bon ordonnancement de la corrida et je crois qu’il appartient à une présidence de ne pas se laisser influencer et savoir rester ferme sur ses décisions et savoir aguanter la bronca qui s’en suivra.  J’ai en mémoire une course Rehuelga à St Martin de Crau en 2014 où j’ai refusé l’indulto réclamé par une partie du public et les professionnels qui ne trouvent que des avantages dans l’octroi de cette grâce, cet après-midi-là je ne me suis pas fait que des amis.»

Tertulias : « Comment gères-tu la pression du public? »

André Roques :« Sur les changements de tercios, il ne faut pas tenir compte du public. Aux piques, il faut mesurer le nombre de rencontres par rapport à la force du toro. C’est sans doute quelque chose de délicat à évaluer et on peut parfois se tromper.  Les changements tu les apprécies avec tes assesseurs et tu fais ce que tu juges bon. Pour les banderilles, je souhaite que l’on respecte le règlement avec quatre banderilles posées et trois passages sauf si le toro est hyper dangereux.
Pour les trophées, le public les réclame plus par des vociférations qu’en agitant les mouchoirs. Entre majoritaire et massive, je fais peu de différences. Si la pétition est forte et semble majoritaire, je donne l’oreille. On ne saurait la refuser même si la présidence ne partage pas l’avis du public. C’est le respect du règlement.et du public. Par contre mes exigences pour concéder un second trophée sont plus fortes. La qualité de l’estocade, celle de la lidia , les « conditions » du toro sont autant de facteurs à considérer pour l’attribution d’un deuxième appendice. »

Tertulias : « As-tu déjà regretté des décisions prises ?

André Roques :« On est bien obligé de se remettre en cause. Sur l’attribution des trophées, je ne pense pas avoir de regrets ou de remords. Ce qui peut poser plus de problèmes, c’est le changement de toros. On doit s’interroger sur le caractère permanent d’une boiterie, sur son aspect invalidant. Il faut prendre une décision rapide et malgré les précieux conseils de l’assesseur vétérinaire le renvoi d’un toro au corral n’est pas toujours d’une grande évidence. Il est clair que l’on peut se tromper. Le public fait parfois savoir qu’il ne partage pas cette décision, c’est son droit. Mais paradoxalement c’est en pensant aux droits du public de voir combattre un animal en pleine possession de ses moyens que le règlement prévoit la dévolution d’un toro . »

Tertulias : « Est-il facile de laisser son goût personnel en dehors du palco ? »

André Roques :« C’est pour cela qu’il est plus agréable de voir une corrida des tendidos que du palco. On y est entre amis, tu as plus de facilités pour te laisser gagner par l’émotion. Au palco, il y a un devoir de surveillance permanent. Tu ne peux pas quitter la course des yeux. Il faut regarder tout ce qui se passe, les moindres détails, tenir compte du temps. Tu prends des notes en particulier quand tu présides à Céret, car à l’issue de la course lors de la tertulia, c’est toi qui te retrouves dans le ruedo. Les spectateurs te posent des questions sur le sens de tes décisions. »

Présider une corrida, c’est rester objectif et s’en tenir aux simples faits , au déroulement de la course . Il faut à la fois se prémunir d’une trop grande émotion et réagir en aficionado. C’est plus complexe que d’être dans les gradins et de jouir complètement du spectacle. Toutes les courses ne se ressemblent pas, tous les toros ne sont pas identiques, tous les toreros ne font pas preuve du même engagement c’est pourquoi je crois que le factuel doit être privilégié à la sensibilité. Cela ne m’empêche pas de regretter que les mérites de certains matadors voués à certaines ganaderias dures ne soient pas suffisamment mis en valeur »

Tertulias : « Qu’attends-tu de tes assesseurs ? »

André Roques :« Pour moi, tous assesseurs et président constituent une équipe sans réelle hiérarchie, un triumvirat   On échange en permanence. Bien sûr quand il faut aguanter une bronca, c’est le président qui l’aguante. Nous sommes trois à présider une course. J’attends que nous partagions nos discussions et les décisions qui en découlent. L’idéal, c’est d’avoir un assesseur vétérinaire. Il aura une meilleure lecture des problèmes physiques des toros.

Le palco idéal, c’est un président confirmé, d’un vétérinaire et d’une personne qui est en devenir. Pour créer la synergie on discute avant la course. Très souvent ce sont des trios qui se répètent. Benoit Pince, Renaud Maillard et moi-même cela fait longtemps que nous montons au palco ensemble. On se connait, on partage une même vision, une même complicité dans la vision des choses. Je n’ai jamais eu de problèmes avec un assesseur. Je n’ai jamais eu de problèmes au palco même. »

Tertulias : « Désigné par les organisateurs, sans autorité officielle reconnue, un président a-t-il les mains totalement libre par rapport à ses décisions ? »

André Roques :« En France, le président est désigné par le maire. L’élu le choisit parmi sa CTEM ou désigne une personne extérieure.  Il peut être sensible aux préconisations de l’organisateur mais officiellement c’est lui qui le désigne. Avec Dominique Valmary (Président de la FSTF), avons assisté, en fin d’année dernière, au congrès de l’Association Nationale des Présidents de Plazas de Toros Espagnoles, nous avons pu y constater que nos confrères espagnols regrettent également que le processus de désignation n’aboutisse pas toujours à la nomination d’une personne compétente et indépendante. Car les qualités cardinales d’un palco sont bien la compétence et l’indépendance, en un mot : l’autonomie.
Des relations trop étroites entre le palco, l’empresa ou la municipalité participent, à n’en pas douter, au triomphalisme actuel. Cette trop grande proximité explique la générosité, les largesses de certaines présidences. Un excès qui fait perdre tout sens aux récompenses attribuées, et ne correspond plus à une véritable échelle de valeur. En mon sens il serait souhaitable que les palcos soient désignés à partir d’une liste de personnes formées et extérieures à la ville, un peu à la manière dont sont nommés les arbitres. Il faut préserver le sérieux, l’éthique de la corrida.

Tout le monde se satisfait de voir à nouveau les arènes se remplir mais si la tauromachie perd de son sens et de son sérieux, elles ne tarderont pas à se vider. On se félicite d’avoir bien fait face à la pandémie et aux menaces abolitionnistes, de voir arriver un nouveau public, mais ne laissons pas galvauder ce spectacle magnifique, gardons à la corrida tout sens, sinon les jeunes qui y viennent, finiront par le délaisser.»

Tertulias : « Le règlement taurin a-t-il besoin d’être dépoussiéré ? Si oui sur quels sujets ? »      

André Roques :«  A la suite des Etats Généraux de la Tauromachie, la FSTF et le Corps des Présidents ont travaillé longuement et sérieusement sur l’analyse et la réécriture du règlement. Il n’est pas possible de dresser ici la liste de la totalité de nos propositions. Les principales innovations que nous voulons voir figurer dans le RTM : Un préambule introduisant la notion d’éthique qui n’apparait nullement dans le texte actuel., Souligner la nécessaire loyauté du combat nous paraît en effet indispensable dans le dispositif d’un règlement qui ambitionne de définir le cadre de ce combat, certains diraient de ce rituel.                                                                         

En fonction de ce que je disais précédemment vous comprendrez que nous proposé la nécessité de revoir la nomination des présidences et insisté sur la compétence et l’indépendance des palcos
 Nous avons aussi soumis l’idée d’une fiche assurant la bonne exécution de tous les contrôles préalables au lancement de la course, une fiche d’ouverture.
Evidemment nous n’avons pas oublié la problématique de l’attribution des trophées tant aux toros qu’aux toreros    
Je crois qu’il ne faut pas craindre d’écrire dans le règlement qu’un toro devra avoir pris un minimum de trois piques pour pouvoir être honoré d’une vuelta al ruedo, trois piques prises avec style. Evidemment ces trois vraies piques sont indispensables pour envisager la grâce de l’animal. Le règlement contient bien des détails mais n’insiste pas suffisamment, à mon avis, sur cette notion fondamentale de l’éthique taurine qui consiste en combat loyal entre un matador et un toro réellement bravo
L’UVTF a reçu nos propositions, nous n’avons pas pu en discuter avec elle autant que nous l’aurions voulu, nous verrons bien celles qu’elle retiendra…»

Tertulias : « Quels sont tes bons et mauvais souvenirs au palco ? »

André Roques :« Je ne sais pas si j’ai de mauvais souvenirs. Les Reta , par exemple , c’était compliqué mais c’était aussi une expérience unique . Il y a eu des courses de Saltillo, d’Escolar, de Palha qui ont été difficiles. Mais je n’en garde pas de mauvais souvenirs, au contraire elles permettent de mieux apprécier le courage la technique des toreros qui se mettent devant de tels adversaires. Les regrets naissent parfois du comportement des piétons qui ne veulent pas voir un toro qui ne te semble pas plus ardu qu’un autre.
Mais ces sentiments sont largement compensés par la satisfaction qu’on ressent à voir des professionnels faire honneur à leur métier. Je pense à un Frascuelo vieillissant opposé à un Felipe Bartolomé à Céret, quelle toreria ! J’étais ravi que cela se passe ainsi pour sa dernière course dans ces arènes. Au final je crois que le président ne peut avoir ni trop de joies, ni trop de peines. Ce n’est pas lui qui fait la course. Il la régente mais ce ne pas lui qui en réalise le contenu. C’est le toro et l’homme qui le combat qui le font. Il éprouve du plaisir à diriger une bonne course. »

Tertulias : « Quelles sont les qualités que doit avoir un président de corrida ? »

André Roques :« Première qualité, il faut que ce soit un aficionado expert. On ne peut pas monter au palco, si on n’a pas une sérieuse expérience d’aficionado. La seconde qualité c’est d’être autonome et indépendant Il faut avoir confiance en soi et en son équipe. Il faut savoir transmettre cette confiance et cette sérénité dans le patio de caballos et de rassurer tout le monde. Il faut bien entendu bien connaître toutes les subtilités du règlement. »

Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul

Verified by ExactMetrics