Blohorn, la Foi et l’Espérance
Blohorn, la Foi et l’Espérance
Au fil des décennies, la ganadería Blohorn a connu une histoire aussi singulière que mouvementée. L’attachement à la Camargue, sa terre et à ses traditions ont permis a l’élevage de traverser des périodes d’espoir, de doute, de transition et de renouveau. Tertulias a rencontré Rémi Chabre et Patrick Alarcon (mayoral) pour nous parler de cette ganadería,et de son identité, avec une ambition renouvelée qui guide aujourd’hui leur travail
Tertulias : « Comment a été créée la ganaderia Blohorn ? »
Rémi Chabre : « « Mon arrière-grand-père, André Blohorn, avait acheté vaches et reproducteurs (origine Antonio Perez Tabernero) chez Sol en 1965. Les résultats avec ce bétail ont été en dents de scie. Le premier toro de Blohorn a été lidié en 1969 à Saint-Gilles par José Mata. Après des années de sélection, le résultat final s’est avéré décevant. Les derniers produits de cette origine sont lidiés à Magescq en 1996 avec un lot pour du rejoneo et un autre pour une non-piquée.
En 1995, mon oncle Bruno Blohorn, qui a pris la suite de mon arrière-grand-père, cherchait du bétail avec une origine noble, or il se trouve qu’il y avait un lot de vaches à vendre chez Jandilla… »
Tertulias : « Pourquoi du Jandilla ? »
Patrick Alarcon : « A l’époque Luc Jalabert a conseillé à Bruno Blohorn de changer tout l’élevage. Luc et Alain Lartigue lui ont, grâce à leur réseau,ouvert les portes de plusieurs élevages et ils ont pu aller chez Jandilla. On est arrivé au bon moment. Les deux frères étaient en train de séparer avec la création de la ganaderia Zalduendo.
La ganaderia a acheté un lot de trente becerras limpias que nous avons tientées au domaine. Luc Jalabert a pu lui obtenir quatre becerros de Los Guateles (origine Juan Pedro Domecq) qui ont été tientés à La Chassagne. Un des becerros nous a convenu et nous l’avons mis sur les vaches. »
Tertulias : « Comment se sont passées les premières années ? »
Patrick Alarcon : « La première année de saillie n’a pas très bien fonctionné car on a eu seulement trois mâles (que nous avons tientés). Puis rapidement, nous sommes partis en non piquée en 2000 à Arles avec une grande course ainsi qu’une autre non-piquée en soirée aux Saintes Maries de la Mer.
Nous sommes montés à l’échelon supérieur avec une novillada piquée à Arles en 2002. Cela s’est très bien passée mais par la suite les autres sorties se sont avérées moins intéressantes. La sélection faite ne correspondait pas forcément à cet encaste. »
Tertulias : « Pourtant vous sortez rapidement en corrida ? »
Patrick Alarcon : « Effectivement, notre première sortie date du 16 avril 2006, toujours à Arles pour la Féria de Pâques. Nous n’étions pas prêts et une corrida se prépare à l’avance. Qui plus est, le séjour dans les corrales a « tué » cette course.
A la base nous avions le « matériel » et de la qualité au départ mais nous sommes allés trop vite et les organisateurs ne nous ont pas fait confiance. Nos toros n’ont pas été mis en valeur et la ganaderia a même dû se résoudre à sortir des toros en corrida portugaise…
En 2012, nous avions sorti une corrida à Alès bien préparée, embarquée le jour même et qui a donné beaucoup de jeu. Pour progresser, il fallait améliorer notre organisation et avoir le recul nécessaire… »
Tertulias : « Remy, qu’est-ce qui vous a poussé avec votre père à reprendre l’élevage ? »
Rémi Chabre : « C’est une longue histoire de passion et de conviction puisque nous avons toujours baigné dans cette ambiance taurine. Pour ma part, je suis toujours venu au Mas où je passais toutes mes vacances. Ma passion du toro remonte à tout petit quand je suivais les corridas à la télévision sur Canal+ au lieu de regarder les dessins animés !
Je me rappelle d’une tienta au Mas lorsque j’avais 5 ans où je portais mon déguisement de torero. J’ai même une photo sur laquelle je suis à côté de Juan Bautista qui était mon héros! Puis est venu le temps durant lequel, pour des raisons diverses, nous avons passé moins de temps au Mas. Mais cela n’a heureusement pas duré et j’ai redécouvert la corrida au travers d’une magnifique corrida, avec Castella, Manzanares et Juan Bautista qui m’a bouleversé.
Après le COVID, faute d’avoir vendu les toros, nous avons vu des camions qui partaient pour l’abattoir. Mon père et moi en avons pleuré en les voyant partir. « Rémi, c’est la dernière fois qu’un toro part pour l’abattoir » m’a-t-il dit ! Fallait-il encore mettre des actes sur les mots ? Cela a été long, mais nous avons réussi à racheter les parts des autres membres de la famille et passer notre BAC agricole pour devenir les heureux propriétaires de cette propriété et de sa ganaderia.»

Tertulias : « Que s’est-il passé entre le post COVID et 2025 ? Comment a été gérée la transition ? »
Rémi Chabre : « Le passage du flambeau a été une étape importante qui s’est déroulée dans le temps, en étant accompagné par Bruno Blohorn qui a été très présent aux débuts.
C’est toujours l’amour du travail bien fait et le respect du toro qui nous ont guidés, soutenus et aidés par les précieux conseils de Patrick Alarcon. J’ai appris à trier à cheval avec Patrick car notre philosophie est celle d’un élevage naturel avec un manejo, lui aussi naturel.
Depuis novembre 2024, Florian Porte a rejoint la ganaderia et il sera notre nouveau mayoral lorsque Patrick lui aura à son tour transmis le flambeau. La propriété, ce sont 600 hectares, une grande maison familiale, des terres agricoles à mener, de la chasse, des tientas à organiser, le relationnel à entretenir pour vendre les toros…»
Tertulias : « Qu’en a t-il été de la sélection? »
Rémi Chabre : « Pour la sélection, il faut beaucoup de rigueur et d’observation. Dans ce métier, vous apprenez tous les jours»
Tertulias : « Sur quels critères basez-vous aujourd’hui, votre sélection? »
Rémi Chabre : « Il n’y a pas de secret ; comme dans toute ganaderia, la tienta nous permet de sélectionner les mères braves et nobles, qui vont au cheval, qui ont du moteur et de la mobilité puisque c’est ce que nous recherchons pour nos toros.
Pour les sementales, c’est comme pour les vaches : beaucoup d’observation, de tientas de machos. Nous regardons également la génétique qui est un critère important et nous nous basons sur les familles. Pour moi, les statistiques sont importantes. Cela n’exclut pas d’éventuelles erreurs mais, avec des grands-mères qui ont eu une bonne descendance, on peut en tirer des informations qui sont généralement fiables.»
Patrick Alarcon : « Si tu veux franchir un palier, le physique est important. Même s’ils savent ce qui se passent dans les élevages, les grands professionnels regardent en premier lieu le physique du toro. »
Rémi Chabre : « Très souvent le bon toro est un toro bien fait. Après dans les arènes, on veut rester fidèle à cette mobilité caractéristique des Jandilla. Nous recherchons un toro qui vient de loin à la pique, qui pousse avec les reins dans le peto. Dans la muleta, ce qu’il faut éviter c’est la mansedumbre. Même après 60 muletazos, un toro ne doit pas aller aux planches. »
Patrick Alarcon : « On voit les qualités du toro quand il fait l’avion dans la muleta. On le voit dans nos tentaderos, les vaches ont du moteur. C’est du solide. Il faut trouver le torero qui saura aller les chercher, les mettre en évidence. »

Tertulias : « Quels sont les toreros qui viennent tienter chez Blohorn ? »
Rémi Chabre : « En règle générale, nous aimons inviter des matadors français qui vont se retrouver devant nos toros en corrida.»
Patrick Alarcon : « Le torero qui nous convient le mieux aujourd’hui c’est Clemente, car il connait bien nos vaches, il sait ce que nous recherchons et comment les toréer. Idem pour Victor avec lequel nous sommes très proches et que nous avons vu grandir. Solal, Andy Younes et Tibo Garcia viennent aussi. »
Tertulias : « A quelle moment de l’année tientez-vous les vaches ? »
Patrick Alarcon : « Avec l’expérience, j’ai remarqué que si on les tiente en septembre ou au printemps, elles n’ont pas le même comportement . Avec trois mois de plus, une vache a plus de forces , elle est plus dominante. Avec les fortes chaleurs, on les éprouve vraiment, elles ont tendance à humilier plus vite. Sous une température plus clémente, elle répète plus. »
Rémi Chabre : « En effet, je pense que de plus en plus nous allons les tienter en septembre et fin de saison. Elles auront plus de caractère et de charpente. Dans un tentadero, ce n’est pas toujours rationnel et il est essentiel d’étudier l’environnement qui joue un rôle important : le vent, le temps, la chaleur, etc… »
Tertulias : « Quels sont les critères d’approbation d’une vache ? »
Rémi Chabre : « La vache doit prendre quatre ou cinq piques en venant de loin, avec une charge rectiligne et en se mettant en situation de pousser. Elle ne doit pas être aidée par un cheval qui entre dans son terrain.
A la muleta, elle doit rester fixe et être très mobile, embestir museau dans le sable et faire l’avion tout en étant longue en sortie de muleta. Brave, noble et très mobile.»
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Tertulias : « Combien avez-vous de têtes de bétail sur l’exploitation? »
Rémi Chabre : « Nous avons une centaine de vaches de ventre pour un total de 250 bêtes sur la propriété. Ce qui permet de sortir deux veaux par femelle tous les trois ans. Nous cultivons de la luzerne sur la propriété pour les nourrir..
Aujourd’hui, notre problème, c’est l’IBR. Nos vaches sont souvent positives à la maladie uniquement parce qu’elles ont été vaccinées avec la première version de ce vaccin qui n’était pas au point. Cela a entraîné des cas de faux-positifs, sans possibilité d’identifier si elles ont la maladie ou si c’est la cause du marqueur de ce vaccin. En un mot, l’administration nous a obligé à vacciner et nous a transmis la maladie. Nous devons aujourd’hui abattre les vaches qui sont positives. Ceci va mettre en difficulté l’ élevage et la conservation de notre patrimoine génétique, avec en plus des risques de consanguinité si on ne travaille qu’avec des vaches très jeunes soignées avec le nouveau vaccin. (ndlr : il va falloir définir un plan d’abattage pour les bêtes touchées par le virus). »
Tertulias : « Vous êtes nouveau dans ce milieu, vous sentez vous légitime, de prendre la tête d’une ganaderia? »
Rémi Chabre : « Oui, je suis légitime car j’ai grandi dans ce milieu et que le toro brave a toujours été ma passion. »
Tertulias : « Quel est le regard du mundillo sur deux Suisses qui prennent la direction d’une ganaderia ? »
Rémi Chabre : «Nous sommes avant tout des camarguais puisque mes parents sont nés à Aix en Provence et à Marseille, qu’ils se sont mariés aux Saintes Maries de La Mer et que mes frères et moi sommes nés à Marseille et avons été baptisés aux Saintes. Selon mon arrière-grand-mère, cette propriété est dans la famille depuis Louis XIV ! »
Tertulias : « Quel est votre objectif à terme ? »
Rémi Chabre : « De pouvoir amener nos toros dans des arènes de première catégorie, de sortir du bon bétail, de prendre toujours autant de plaisir et de voir des figuras devant nos toros. »
Tertulias : « Dans dix ans qu’est-ce que vous aimeriez que l’on dise de la ganderia Blohorn ? »
Rémi Chabre : « Que du bon ! »
Tertulias : « La camada 2026 est courte avec deux toros et une novillada. N’est-ce pas frustrant de ne pouvoir valider votre travail avec plus de bétail à lidier ? »
Rémi Chabre : « Forcément, c’est frustrant. Mais avec le temps nous allons remédier à cela. De toutes les façons, l’important n’est pas la quantité mais la qualité. »

Tertulias : « Qu’est-ce qui vous guide alors ? »
Rémi Chabre : « Comme je vous le disais : la passion et le respect du toro, ainsi que le travail bien fait. On vient de vivre deux années extraordinaires, notamment avec une très bonne corrida à Saint-Gilles en 2024. Je l’ai vue plus avec les yeux de l’aficionado que celle du ganadero. Elle a plu au public.
Les tientas de cette année ont été exceptionnelles. Les becerros en non-piquée ont été très intéressants. Nous avons eu également de grands toros aux Saintes-Maries cet été mais il faut continuer à apprendre jour après jour pour progresser encore et toujours.
Nous sommes très croyants dans notre famille. Cette foi et cette espérance bien camarguaises nous ont beaucoup aidés à passer les moments difficiles. Je suis persuadé qu’elles nous guideront pour réussir. »
Entre héritage, passion et rigueur, la ganadería Blohorn entend désormais regarder l’avenir avec confiance et fidélité à son identité retrouvée. Nous remerçions Rémi Chabre et Patrick Alarcon pour le temps qu’ils nous ont consacré.
Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul
