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Victorino Martin, le dépositaire

Victorino Martin, le dépositaire

Fondé dans les années 1960 par Victorino Martín Andrés, vétérinaire de formation et passionné par la sélection du toro de combat, l’élevage à la devise rouge et bleue est issue de l’encaste Albaserrada lignée réputée difficile et peu exploitée jusque-là.

Les toros de Victorino Martín sont facilement reconnaissables : de gabarit sérieux, souvent de robe cárdena avec des cornes fines et veletas. Ils sont dotés d’un regard impressionnant. Ils sont réputés pour leur bravoure sèche, leur intelligence et leur exigence envers les toreros.

Aujourd’hui, l’élevage est dirigé par Victorino Martín García, fils du fondateur, qui perpétue l’héritage paternel. Héritier d’un patrimoine exceptionnel, ce dernier a su moderniser l’image de l’élevage tout en restant fidèle à son identité qui fait de lui un éleveur, mais aussi un véritable ambassadeur du toro bravo dans la société actuelle.

Tertulias a profité de son récent passage lors de la feria de Dax pour le rencontrer.

Tertulias : « Pour commencer, même si l’on vous connaît, en quelques mots, pouvez-vous vous présenter ? »

Victorino Martin : « Je m’appelle Victorino Martin García, fils de Victorino Martin Andrés et de María García Velasco, éleveur de toros de combat depuis ma naissance, vétérinaire, et en ce moment, je suis le président de la fondation « toro de lidia »…un amoureux, passionné de l’univers taurin. »

Tertulias : « Vous avez travaillé dans à peu près tous les secteurs du milieu taurin. La ganadería s’est finalement imposée à vous. Vous auriez choisi une autre carrière? »

Victorino Martin : « J’ai essayé d’être torero, mais ça n’a pas fonctionné. Je crois que dans la vie, quand une porte se ferme, une fenêtre s’ouvre. Ma passion a toujours été le toro et j’ai eu cette chance de pouvoir développer la ganaderia familiale et ça me passionne. »

Tertulias : « Les toreros disent “se torea como se es” (on torée tel qu’on est). On élève tel qu’on est également ? »

Victorino Martin : « Oui ! Encore davantage! Car tu sélectionnes par le biais du comportement. Tu choisis un animal pour son caractère. Et c’est donc en fonction de ton propre tempérament tu choisis le comportement qui te plait. »

Tertulias : « Et que recherchez-vous ? »

Victorino Martin : « Je recherche le toro complet : brave, bon, encasté, qui dure et permet le triomphe du torero. Un animal qui plaise, qui donne de l’émotion. Pour moi, le toro doit générer une certaine peur. S’il fait pitié, cela dévalorise tout le spectacle. »

Tertulias : « Êtes-vous dans une continuité avec le travail de votre père ou chercher vous votre propre trajectoire ? »

Victorino Martin : « C’est une continuité. Je ne me considère pas comme un héritier mais comme un dépositaire. Les valeurs de mon père comme les miennes sont identiques. Les critères de sélection, l’idée que nous nous faisons du toro et de la fête sont très semblables, chacun dans son style, avec sa personnalité propre et en fonction des outils dont nous disposons selon nos époques. Il est clair que les férias aujourd’hui ne sont plus les mêmes que lorsque mon père a débuté dans les années 70. »

Tertulias : « Le référence à votre père n’est pas quelque chose qui vous pèse parfois ? »

Victorino Martin : « Pas du tout. Au contraire, cela me donne une impulsion. Savoir qui a été mon père me donne du courage et de l’énergie. »

Tertulias : « Que pensez-vous laisser à vos filles ?* »

*(ndlr , Victorino est le papa de Pilar et Miriam)

Victorino Martin : « Peu de dettes ! (Il rit) J’espère vraiment, si possible ne pas laisser de dettes, un espace sain et la responsabilité immense de maintenir ce patrimoine qui appartient à tous les aficionados et au monde taurin. C’est ce que j’aimerais leur léguer. »

Tertulias : « Cela vous préoccupe-t-il que ce soit des femmes, aujourd’hui, dans ce milieu ? »

Victorino Martin : « Non, les femmes sont l’avenir. On dit qu’une des caractéristiques du 21° siècle sera le bond en avant que feront les femmes. Elles occuperont les plus hautes sphères car dans de nombreux domaines, excepté du point de vue de la force physique, elles dépassent les hommes. »

Tertulias : « Quel est le toro idéal que vous ayez lidié?  »

Victorino Martin : « Je crois fermement que la perfection n’existe pas. Le toro parfait n’est encore jamais sorti mais nombreux sont ceux qui m’ont plu : Cobradiezmos, le toro de cette année à Madrid, Escusano l’an passé…et beaucoup d’autres. Le parfait n’existe pas. Il y a des toros qui me plaisent, qui me comblent mais je n’ai pas encore atteint la perfection. Un de mes professeur, lors de mes études vétérinaires me disait : « la perfection n’appartient qu’à Dieu, elle n’existe pas ». Il disait également « Après Dieu, le mieux que vous trouverez, c’est moi. ». Il ne mettait jamais de 9 ou de 10 : le 10 appartenait à Dieu, le 9 à lui-même et donc sa note la plus élevée était 8.5. Je crois en ça. La perfection n’existe pas mais l’objectif est de s’en approcher. »

Tertulias : « Quelle relation entretenez-vous avec la France ? »

Victorino Martin : « « J’adore la France. J’y ai de nombreux amis proches. La mentalité française me plait. J’aime beaucoup ce pays.

Tertulias : « La ganadería de la A (Victorino Martin) est la ganadería héritée de votre père. Pouvez-vous nous parler de Monteviejo qui semble être un projet plus personnel ? »

Victorino Martin : « C’est aussi celui de mon père. Monteviejo a été le rachat d’une encaste qui allait disparaitre. C’est un projet que nous avons pensé comme une préservation, dans le monde taurin, de la biodiversité : la quantité d’encastes qui existent et qui sont finalement des races à part entière de par les différences génétiques qui les caractérisent. Les préserver, c’est déjà une victoire. La ganaderia va bien. Nous allons lidier à Madrid, lors d’un défi ganadero et nous sommes convaincus que Monteviejo sera une ganaderia qui, dans le futur, fera parler d’elle. »

Tertulias : « Vous avez fait de la ganadería une marque : les voyages, les produits régionaux…»

Victorino Martin : « Les voyages permettent au public de mieux connaitre le monde du toro. C’est très important. C’est une porte ouverte sur la vérité du campo et la vie d’un toro de combat. Nous avons reçu quelques antitaurins qui suite à leur visite ont revu leur jugement. Le reste, c’est un hommage à ce que nous donne la terre. Nous n’avons qu’une petite quantité de vin et d’huile. Ce sont des produits purement extremeños (d’Extremadure). Le vin vient de Eva de los Santos et nous ne produisons que 4000 bouteilles environ. L’huile de manzanilla cacereña est moins connue encore. Je pense qu’il est bon de faire connaitre l’Extrémadure qui est une terre de pleine richesse qui reste très méconnue. »

Tertulias : « En tant qu’éleveur êtes-vous pour ou contre les fundas? »

Victorino Martin : « Nous ne sommes pas très partisans des fundas, mais nous comprenons qu’elles sont parfois nécessaires. On les utilise quand un toro qui durant un certain temps a été nourri en pienso concentré développe un syndrome appelé “Prurito Intracornual”. Le toro commence à se gratter les cornes et se les abime de lui-même. Nous n’aimons pas les utiliser mais nous faisons attention à nos toros et il reste préférable de mettre les fundas plutôt que perdre un toro. Donc, les fundas oui, mais de façon raisonnée. » 

Tertulias : « Lors de la lidia d’un de vos toros quel est le tercio que vous appréciez le plus? »

Victorino Martin : « Les trois! La lidia d’un toro est une métaphore de la vie. Le toro qui sort des chiqueros, c’est une naissance. Iil passe de l’obscurité à la lumière par un tunnel que l’on pourrait assimiler à l’uterus maternel. Le 1° tiers est celui dans lequel l’animal est le protagoniste. Il est comme le jeune enfant que tout le monde observe, découvre. Il va au cheval pour briller. Le 2° tiers est celui du calme, celui où son destin se dessine. C’est un temps de respiration. Autrefois, les banderilles étaient nommées « avivadores »(raviveurs). Le dernier tiers se termine avec la mort. Certains finissent aux planches, d’autres se battent jusqu’au bout, d’autres encore s’élèvent.

Aujourd’hui, les pratiques dans l’arène ont enlevé du lustre au premier tiers et en ont donné en excès au troisième, ce qui rend parfois les faenas de muleta soporifiques par leur longueur. J’aimerais qu’on revalorise le 1° tiers, que le taureau puisse briller car il le mérite. Bien sûr certains ne peuvent pas aller au cheval et dans ce cas-là, il est bon d’abréger et de mesurer le châtiment. Et il faut éviter les 3° tiers à rallonge. Parfois les toreros exagèrent. »

Le célèbre Cobradiezmos
Tertulias : « Que préférez-vous le campo ou les arènes? »

Victorino Martin : « Les deux sont indispensables. Sans campo, il n’y aurait pas de spectacle dans les arènes. Mais sans arènes, le campo et l’élevage n’existerait pas. Cependant, je profite davantage au campo. »

Tertulias : « 2025 est une année de grand triomphes pour la casa Victorino Martin? * »

*ndlr :entretien réalisé à Dax avant l’indulto de Pontevedra

Victorino Martin : « Nous n’en sommes qu’à la moitié… On nous a récompensé d’une vuelta à Séville, à Madrid, à la Linea, deux à Santander, un indulto à Alicante… C’est vrai que pour le moment, tout fonctionne plutôt bien, mais n’allons pas parler d’année triomphale avant la fin. Il reste encore beaucoup de chemin. »

Tertulias : « Que peut-on vous souhaiter alors ? »

Victorino Martin : « Et bien, ¡suerte! Et bonne fin de saison ! »

Propos recueillis par Fanny

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