Málaga : De Miranda, la grande porte du courage
La présence de Andrés Roca Rey au cartel, c’est l’assurance comme aujourd’hui, de remplir la plaza hasta las banderas. Blessé, Cayetano, qui devait faire ses adieux à Málaga, est remplacé par Manuel Escribano. L’intérêt de cette corrida, c’est aussi et surtout, la présence au cartel du troisième homme, le triomphateur de Séville mais également de partout où il est programmé, David de Miranda. Ce dernier est injustement et scandaleusement écarté des grands rendez-vous estivaux. Aussi, le voir ici, en dehors de toute substitution, suscite une grande attente.
Résumé
Les toros
La ganaderia de Victoriano del Rio n’aura pas redoré un blason bien terni depuis ses dernières sorties. L’envoi est composé de sept exemplaires, le cinquième étant remplacé pour boiterie. Le lot est homogène de trapio, de 535 kg à 570 kg, bien présenté. Les têtes sont modestes à l’exception du 3, du 5bis et surtout de l’ultime, très bien armé, astifino. Côté comportement, nous avons eu droit à un ensemble hétéroclite, allant des nobles 1 et 4, en passant par l’encasté troisième, jusqu’aux mansos imbuvables, les 2 et 5bis, et le manso con casta clôturant la tarde.
Les toreros
Le sorteo a été particulièrement injuste. Manuel Escribano récupère les deux seuls toros de bon jeu, mais il demeure en dessous des possibilités offertes. Il coupe une oreille de chacun de ses adversaires, grâce à deux bonnes estocades.
À l’opposé, Roca Rey, peu verni, touche en premier, un manso infumable et pour son second combat, l’alimaña décastée sortie en sobrero. Malgré une bonne volonté et une dignité évidente, il ne peut rien tirer d’une telle opposition. Grosse déception en piste et sur les gradins. Une après-midi à vite oublier pour le Péruvien.
Enfin, David de Miranda doit en découdre avec un toro encasté et dangereux mais qui permet, tant soit peu qu’on le soumette avec autorité. L’Andalou ne va pas laisser passer l’opportunité. En dernier, le sort lui réserve un manso con casta cauchemardesque pour un arimon qui va tenir en haleine le public jusqu’à la délivrance apportée par une épée sincère et efficace. Par sa maestria, son engagement et son courage magistral, le natif de Trigueros (province de Huelva) coupe trois oreilles méritées et ouvre une nouvelle grande porte, confirmant son statut de figura trop souvent oubliée.
Manuel Escribano
Premier toro.
Sans surprise, le Gerenense accueille son premier adversaire a porta gayola. Le capoteo suivant est enlevé et chauffe le public. Les œillades répétées envers les gradins font mouche. Le toro est bien mis en suerte pour deux piques, la deuxième légère, afin de préserver l’animal pour le deuxième tiers. Andrés Roca Rey vient au quite par chicuelinas et tafalleras. Belle démonstration avec les palos qui met la plaza en ébullition.
Escribano débute sa faena au centre par des statuaires avec changement dans le dos, très serrées. Le toro possède une excellente embestida sur les deux pitons. Dès lors, on ne comprend pas bien le toreo marginal donné sur le pico à un bicho d’une grande noblesse. Le diestro ne rectifie pas sa position d’un iota. Il enchaîne les séries mais l’ensemble manque cruellement de profondeur. Pour ne rien arranger, la faena va a menos. Les manoletinas finales ne changent rien, Escribano est passé à côté du seul toro de la tarde possédant de la classe. Heureusement, un grand coup d’épée légèrement tombé, sauve son actuación et lui permet de couper un petit pavillon. La pétition pour le deuxième est un non-sens. Applaudissements à l’arrastre.
Quatrième toro.
Alors qu’une brise marine rafraîchissant l’atmosphère vient de se lever, comme à son habitude, Manuel Escribano s’agenouille devant la porte du toril. Sort des chiqueros, un negro cornicorto mais en pointe.
Bien que moins brillant que le précédent, le second adversaire du Gerenense présente également une bonne dose de noblesse. L’histoire va se répéter. L’Andalou se met le public dans la poche grâce à un capote fleuri et des batônnets spectaculaires, mais à la muleta cela devient une autre affaire. Le Victoriano possède un bon fond de noblesse touchant parfois à la soseria, qu’Escribano ne veut pas voir. Il résulte à nouveau une faena décentrée sans transmission. La musique entreprend la magnifique « Concha flamenca » et le soliste trompettiste reçoit plus de olés que le soliste en piste. Série de muletazos sur le pico, le palo tenu à son extrémité. Le président fait taire l’orchestre. À nouveau, un estoconazo permet à Escribano de couper une oreille dont il se débarrasse dès l’entame de la vuelta. Applaudissements pour la dépouille.
Andrés Roca Rey
Deuxième toro.
La sortie au ralenti du premier adversaire d’Andrés Roca Rey ne présage rien de bon. Le toro freine dans les parones d’ouverture, confirmant notre crainte, et lorsqu’il fuse sur le picador de réserve sans faire cas des capotes visant à l’en empêcher, nous avons la confirmation du manso. Sorti seul du premier châtiment, il est remis en place face au piquero de turno pour une deuxième pique légère. Le manso regagne alors directement le terrain du toril pour recevoir un quite méritoire de De Miranda par saltilleras et gaoneras. Lors du deuxième tiers, en bon manso, le bicho promène les banderilleros tout autour du ruedo. Avec assurance et dans un désir de satisfaire un public essentiellement venu pour lui, Roca Rey lui offre le bestiau !
Quelle idée de débuter la faena par des statuaires données dans la querencia, alors que le toro aurait exigé d’être doublé sévèrement ? Le Péruvien se fait avertir sans frais. Seule la corne gauche est fréquentable. Le Victoriano s’est définitivement fixé au toril près des planches. Dans un souci de plaire, Roca Rey s’obstine à le toréer comme s’il était un toro de grande classe. La muleta est souvent accrochée et l’animal colle. De la main droite, la charge est courte et brutale, avec intelligence le diestro sert des circulaires inversées, donc sur le piton gauche, et ça fonctionne. Entière caidita pour en finir. Salut de déception et sifflets à la dépouille.
Cinquième toro.
Le titulaire sorti en cinquième position est un castaño qui freine dans le capote du Péruvien et qui montre des signes évidents de mansedumbre. Le public pressent à nouveau un scénario identique à celui du précédent et exige bruyamment le changement, dès lors que l’animal montre des signes de faiblesse au niveau du train avant. Le président accède à la demande et le conclave ne va pas être déçu car sort des chiqueros un tió qui ferait presque passer le second du jour, pour un ange. À son entrée, le sobrero se fixe au centre, renifle le sol, ne répond à aucune sollicitation et fuse à l’improviste. Comme il se doit, il est piqué en manso, enfermé en carioca. Le tercio de banderilles est périlleux, Fernando Sánchez de la cuadrilla de De Miranda ayant remplacé pour l’occasion Paquito Algaba indisposé.
Le début de faena est extrêmement prudent. Les passes sont distillées les unes après les autres. Le toro est incertain, charge par à-coups et délivre des hachazos à chaque passage. Il s’ensuit plusieurs désarmés. Avec courage, Roca Rey tente de canaliser la « tête chercheuse », mais hélas, l’animal est imbuvable. Le final va s’avérer compliqué. La demi-lame habile va vite être insuffisante. Premier avis. Descabeller s’avère mission impossible face à ce manso qui fuse sur tout ce qui bouge. Le Péruvien choisit de reprendre l’épée pour deux pinchazos avant une entière en place. Le toro est toujours fringant quand sonne le deuxième avis. Deux descabellos pour en terminer et envoyer la vermine ad patres. Palmas de compassion et bronca à l’arrastre.
David de Miranda
Troisième toro.
Le troisième toro est un negro armé offensif qui va s’avérer être un bicho encasté, exigeant. Après un capoteo anodin, le Victoriano prend deux piques assassines en bravito. Il arrive parado au deuxième tiers, au cours duquel Fernando Sánchez laisse à nouveau apercevoir sa maestria. Le début de faena est donné par statuaires impressionnantes sans céder un pouce de terrain. Musique. Le toro a peu de charge, il faut le consentir dans son terrain. De Miranda s’y attèle avec beaucoup de courage. Dès lors qu’on lui « marche dessus », le bicho met la tête. L’Andalou arrache trois circulaires magnifiques suivies de muletazos autoritaires, qui connectent avec le public. La faena va a mas pour s’achever par des manoletinas émouvantes. Faena cumbre conclue par un estoconazo en se mouillant les doigts, rapidement efficace. La neige tombe sur la plaza. Deux mouchoirs sortis synchrones. Palmas au bicho.
Sixième toro.
Il y a presque trois heures que la corrida a débuté lorsque sort l’ultime toro, un joli castaño, veleto, astifino. La lidia de ce manso con casta restera comme le grand moment d’émotion de la course. La réception au capote montre d’emblée que le Victoriano n’est pas « franc du collier ». Il sort seul en ruant de la première pique et fuse sur le cheval de réserve pour recevoir une deuxième ration dont il sort seul également. Bien remis en suerte devant le picador de turno, le toro va étaler une belle bravoure en mettant les reins et poussant fixement. Deuxième tiers dangereux où s’illustre à nouveau Fernando Sánchez. Brindis au local Jiménez Fortes.
Début impassible au centre qui met le feu à la plaza et réveille d’emblée l’orchestre. La charge est violente et imprévisible. De Miranda s’en accommode et tire plusieurs séries estimables. Il demeure stoïque lorsque le toro s’arrête à mi-course à sa hauteur. La percale semble aimanter la tête de l’animal. Avec un cœur énorme, le natif de Triguero persiste devant un toro de plus en plus sur la réserve et qui demeure imprévisible. Au cours d’un desplante dans les cornes, le diestro se fait lourdement soulever dans l’émoi général, fort heureusement sans gravité. Le drame a été évité de justesse. De Miranda, dont le costume blanc à l’origine a viré au rouge vermillon, reprend la flanelle dans une ambiance difficilement descriptible, pour de nouveaux multetazos et rééditer le desplante qui a failli lui coûter la vie. « Mata lo ya ! », hurle mon voisin qui n’en peut plus.
De Miranda s’exécute et nous délivre par une lame entière basse. À nouveau, la plaza se couvre de blanc pour une énorme oreille qui ouvre la puerta grande du courage. Avis partagés pour le toro.
Conclusion
Corrida longue de 3h30. En cause, les tercios de banderilles qui se sont souvent éternisés, les vueltas finales, le changement du cinquième. De Miranda sort à nouveau grandi de l’épreuve. Alors, un bon conseil à tous les organisateurs de part et d’autre des Pyrénées : si vous recherchez une figura avec une maestria incontestable, une entrega énorme et un courage colossal, n’hésitez pas ! Un seul nom : David de Miranda. Il est hélas, assez souvent disponible.
Olivier Castelnau
Fiche Technique
- Málaga. Plaza de toros de la Malageta. 6 toros de Victoriano del Rio, le 5ème comme sobrero, pour :
- Manuel Escribano (Menthe et or) : Oreille – Oreille
- Andrés Roca Rey (Azabache et or) : Salut – Palmas
- David de Miranda (Immaculé et or) : 2 Oreilles – Oreille
- 13 piques.
- David de Miranda sort par la grande porte.
- Président : Carlos Bueno
- Plus un billet.
- Bleu azur. Légère brise marine à la mi-temps. 32 °C.