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Maxime Solera, la tauromachie est une psychanalyse…

Maxime Solera, la tauromachie est une psychanalyse…

Martégal de naissance , Maxime Solera a aujourd’hui trente ans. Il mène depuis ses débuts en piquée en 2016, une carrière atypique alors qu’il devait devenir professeur de tennis . Il emprunte le chemin des corridas dures. La route est sinueuse et semée d’embûches mais l’homme n’a pas une nature à se laisser abattre. C’était l’occasion pour Tertulias de le renconter pour mieux le connaître au travers d’un entretien où il se dévoile sans détour..

Tertulias : « Maxime comment passe t’on du tennis au toro ? » 

Maxime Solera : « Mon papa a voulu être novillero dans les années 80, mon grand frère a fait une carrière en course camarguaise. En fait j’ai toujours baigné dans une ambiance taurine. A cinq ans, j’avais trouvé comment marchait le magnétoscope et je mettais les cassettes vidéo de corridas. J’adorais ça. Je faisais du tennis, mais à ma demande mes parents ont accepté ce qu’ils avaient refusé à mon frère à savoir rentrer dans une école taurine.  »

Tertulias : « Etre aficionado d’accord mais d’ici à en faire ton métier? » 

Maxime Solera : « En fait, contrairement au tennis où je ne pense pas pourvoir atteindre le haut niveau, je rentre à l’école taurine d’Arles et quand je regarde des corridas, je me dis que je vais y arriver moi aussi à être torero, je m’en sens capable. »

Tertulias : « C’est ton côté compétiteur qui ressort? » 

Maxime Solera : « Complètement. Dès que je commence à torée à l’école taurine, j’y prends goût. J’y vais par étapes en étant structuré. Réussir step by step. Péguer trois muletazos d’affilée , puis la série avec le pecho, des deux côtés , puis deux séries d’affilée, etc… »

Tertulias : « Ton parcours va « vite » t’éloigner de chez toi? » 

Maxime Solera : « Dans un premier temps, le maestro Mendes m’invite à venir m’entraîner un jour chez lui. Jy reviendrai plusieurs fois même si ce n’était pas mon école taurine. Je fais la connaissance d’Enrique Guillen qui me promet 10 novilladas non piquées à condition que je vienne le rejoindre pour vivre à Barcelone. Ma formation pour avoir le diplôme d’état au niveau tennis n’était pas terminée, j’ai tout quitté famille, amis et futur job pour aller à Barcelone. »

Tertulias : « A Barcelone, vous formez un duo avec Guillen, tu arrives avec lui aux portes de l’alternative et pourtant vous rompez. Quelle en est la raison? » 

Maxime Solera : « Nous sommes en fait arriver au bout de notre aventure. Autant donc arrêter notre chemin commun puisque nous n’étions plus en phase et je souhaitais assainir mon entourage en étant accompagné par un professionnel expérimenté et enrichissant. »

Tertulias : « Ensuite tu pars deux ans avec Denis Loré et désormais tu gères ta carrière seul, désir de liberté? »

Maxime Solera : « C’est plutôt de l’ambition, car la liberté a quand même un prix. Avec quelques cartouches dans la temporada, à moi de saisir les opportunités et de prouver, pour avoir un apoderado avec du pouvoir qui me facilitera le campo en Espagne, et des dates éventuelles. Aujourd’hui, c’est vrai que c’est moi qui appelle les éleveurs, les empresas. C’est une charge mentale à supporter en plus. Il faut savoir mettre l’ego de côté parfois, mais c’est mon choix pour l’instant. A 30 ans, j’ai la maturité et la force nécessaires pour le faire, même si c’est avec plaisir que je verrais arriver un apoderado susceptible de gérer cela efficacement. »

Tertulias : « Tu t’es forgé une réputation de torero de toros durs, cette image n’est-elle pas une prison quelque part? »

Maxime Solera : « Au départ j’ai toréé ça parce que je voulais être torero, et que c’était ça ou rien. Après j’aime ce genre de tauromachie même si je suis ouvert à tout toréer. Le système m’a en quelque sorte enfermé dans ce style de corridas et je regrette qu’en France, les ferias toristes ne jouent pas toujours le jeu et ne donnent pas plus systématiquement la chance au torero français souhaitant être une référence des corridas dures. Comme en Espagne, le marché est très fermé, j’’attends impatiemment Madrid et j’espère avoir la chance qu’il me faudra saisir. Il faut en attendant s’armer de patience, redoubler d’effort et continuer à progresser. »

Tertulias : « Finalement, cette alternative annoncée au départ avec les Miuras et qui n’a pas eu lieu à cause du Covid, n’est-ce pas un regret éternel? »

Maxime Solera : « Non pas un regret, mais une frustration car c’était un vrai défi de prendre l’alternative avec les Miuras, qui n’avait pas été relevé depuis longtemps! J’ai été professionnellement une victime collatérale du Covid, même si Jean Baptiste a respecté sa parole de me permettre de prendre l’alternative à Arles. Mais du coup, j’ai dû la prendre en juillet 2021 dans une saison tronquée au ieu de la prendre en début de temporada 2020. Ce n’est pas la même chose, d’autant que j’avais tout programmé de novillero pour faire une despedida qui me préparait à cette alternative arlésienne. J’ai donc dû faire quelques novilladas supplémentaires, qui se sont en plus moyennement passées. Après l’alternative avec Morante comme parrain, les La Quinta, ça reste quand même un rêve, un merveilleux moment pour moi. »

Tertulias : « Etre torero , ça veut dire quoi pour toi? »

Maxime Solera : « Un mode de vie…c’est la liberté, c’est être un peu en marge du système. Etre torero c’est un combat, c’est une lutte. C’est lutter face au toro, être en compétition avec les compañeros , faire face aux blessures. La tauromachie est une psychanalyse et le toro, le psychiatre. Les deux t’apprennent à mieux te connaître en tant qu’artiste et en tant que personne. C’est un voyage dans une introspection profonde, une analyse et une réflexion sur qui tu es, comment tu réagis face aux épreuves et une incitation à t’améliorer en permanence. »

Tertulias : « Qu’est-ce que tu souhaites exprimer face à un toro? »

Maxime Solera : « Faire passer des émotions, même si l’émotion est propre à chacun. J’aime l’idée de la progression constante comme vecteur de cette émotion. En progressant, tu procures une émotion différente et grâce à ces émotions tu crées des souvenirs. J’aime l’idée de pouvoir inspirer des gens, de pouvoir créer un souvenir, de pouvoir les émouvoir. Si je devais résumer mon concept, je dirais poder, verdad et entrega (ndlr: puissance , vérité et engagement). »

Tertulias : « C’est quoi une journée type de Maxime Solera? »

Maxime Solera : « Lever, douche, entrainement, déjeuner, entraînement, dîner, coucher….et surtout beaucoup penser. »

Tertulias : « Il y a de la place pour autre chose que la tauromachie? »

Maxime Solera : « Oui, c’est important de partager du temps avec mes proches, voyager pour aller découvrir un autre monde. Du sport, de la lecture, du théâtre, du cinéma dont je me nourris pour m’enrichir personnellement mais aussi comme torero ET PUIS LA CUISINE!! Je fais aussi de la moto. Je fais de la moto pour la sensation de liberté que cela procure. J’aime bien m’affranchir du sytème dans lequel je ne me sens complètement à l’aise. Après dans la tauromachie, j’aime bien respecter une certaine discipline, et respecter ma routine de préparation, il y a un temps pour tout . »

Tertulias : « Tu es entouré de la même équipe depuis le début, est-ce une force ou une faiblesse? »

Maxime Solera : « C’est une marque de confiance, même si cela peut avoir certaines limites et me laisser dans une zone de confort. Néanmoins dans la vie, je cherche des relations profondes qui se construisent sur le long terme, alors ouvrir l’équipe pourquoi pas mais il faut être sûr que cela soit enrichissant à titre personnel et professionnel. »

Tertulias : « La mentalisation, la préparation mentale sont très prégnantes chez toi pourquoi? »

Maxime Solera : « C’est la base du contrôle de tout ce qui se passe avant de pouvoir toréer. Quand tu es dans l’arène, il faut savoir aussi de ne plus contrôler pour laisser la place à sa propre expression. J’ai toujours quelque part souffert du syndrome de l’imposteur. Je ne suis arrivé qu’à 16 ans en becerrada, 20 ans en sans picador. 15 courses après je passe en piquée où je vais à Ceret, Cenicientos, Madrid. Je suis annoncé avec les Miura pour l’alternative. Bien obligé d’essayer de contrôler quelque chose pour que tout ne t’échappe pas. Paradoxalement, j’ai remarqué qu’à un moment tu as tellement de contrôle que tu peux finir par te laisser aller.

Pendant longtemps j’ai été un peu dans le situation du « sauve qui peut ». Je suis allé à Porta Gayola à Ceret et ailleurs, parce que je ne maitrisais pas le toreo avec le capote. Je suis allée faire jusqu’ à dix faroles à genoux d’affilée. Faire comme cela, c’était contrôler la situation pour éviter qu’elle ne m’échappe. Aujourd’hui avec le travail effectué, je contrôle les choses en amont qui me permettent de plus me libérer, me lâcher et de m’exprimer. Au campo J’ai reussi à être moi-même, « muy entregado » ce que je n’ai pas encore assez montré dans l’arène. »

Vic
Orthez
Ceret
Tertulias : « Et la préparation physique alors? »

Maxime Solera : « J’en fait beaucoup, bien plus sûrement que ma profession l’exige. C’est néanmoins indispensable car quand tu es torero avec quatre contrats à toréer dans l’année et quinze tentaderos, il en reste bien des jours à combler.…ça fait du bien au cerveau. C’est une manière de rester centré et concentré au jour le jour et de garder de la motivation tout en restant prêt à tout moment. »

Tertulias : « Quel bilan tires-tu de la temporada 2023? »

Maxime Solera : « Il manque toujours quelque chose, des détails. Il y a eu des bonnes choses qui n’ont pas étaient abouties mais c’est le haut niveau.. Tout se joue sur des détails qui mis bout à bout font la différence. Là j’aimerais avoir un oeil extérieur pour les corriger. Parfois l’épée m’a manqué. L’épée, c’est un condensé de savoir et la conclusion de choses bien faites dans la faena. Quand tu ne fais pas complètement ce qu’il faut, tu le payes à l’épée surtout si tu veux respecter les canons. Mais je pense que chaque après midi, j’ai ou j’aurais pu couper des oreilles face à des ganaderias et dans des arènes de renom. C’est bien pour un matador de deux ans d’alternative, mais ce n’est pas suffisant. »

Tertulias : « Et pour 2024? »

Maxime Solera : « J‘espère avoir des cartouches pour prouver, et que les arènes qui se disent toristes pensent à moi. »

Tertulias : « Qu’est-ce que tu aimerais que l’on dise de toi à la fin de 2024? »

Maxime Solera : « On a pu voir le vrai Maxime. On peut lui faire confiance. »

Tertulias : « Tout ce travail que tu fais n’est-ce pas justement pour lutter pour ce que je ressens peut-être comme un manque de confiance en tes moyens? »

Maxime Solera : « Peut-être. J’ai tendance à me focaliser sur les défauts d’une faena. Cela peut même m’arriver pendant que je torée, mais c’est aussi le côté perfectionniste que j’ai, de toujours rechercher ce qui ne va pas. On en revient à cette histoire de contrôle dont on parlait tout à l’heure. Quand j’ai énormément toréé en novillero (campo et novillada), je l’ai touché du doigt car en piste cela devenait presque facile et je pouvais être plus instinctif . Avec le Covid, depuis que je suis matador d’alternative, j’ai eu à affronter des toros âgés. Je suis passé d’un animal de trois ans à celui de presque six ans avec en plus au milieu un arrêt de quasiment deux ans. Il peut y avoir de la difficulté et donc il peu y avoir de la place au doute parfois, mais c’est ça qui fait grandir. »

Tertulias : « Quel est ton objectif ultime et combien de temps te donnes-tu pour l’atteindre? »

Maxime Solera : « Vivre de la tauromachie sans être préoccupé. Toréer souvent sans penser à autre chose, vivre le haut niveau de ma profession. C’est la vie qui fixera la limite temporelle. Pour l’instant je ne m’en suis fixé aucune même si les contingences de la vie, son instabilité sont réelles. En temps qu’artiste, torero, c’est le prix à payer pour pouvoir continuer à rêver. »

Propos recueillis par Philippe Latour

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