Málaga : Urdiales retrouvé, Fortes conforté, Aguado inspiré
Málaga : Urdiales retrouvé, Fortes conforté, Aguado inspiré
En sortant de la Malagueta, dans la torpeur de la nuit andalouse, nous avons un sentiment étrange, ressenti parfois à l’issue d’une tarde de toros. Cette impression est celle d’être passé à côté, à trois fois rien, d’une après-midi de triomphe, en tout cas bien loin du palmarès brut obtenu finalement. Comme si quelques grains de sable inopportuns étaient venus enrayer le rouage d’une grande tarde promise. Un président myope, un toro faiblissime, une lame défaillante, autant d’empêcheurs de tourner en rond.
Résumé
Les toros
Il y a bien longtemps que les Torrealta, aux origines Domecq diverses, sont rentrés dans le rang, loin des toros piquants du début des années 2000. Ceux du jour, forment un lot homogène de 525 kg à 565 kg, bien roulés et bien armés, sans excès. De jeux variés, tous ont présenté, à des degrés divers, une faiblesse prononcée. De fait, aucun tercio de piques digne de ce nom, et un fond de noblesse qui ne peut s’exprimer.
Les toreros
En ce début de soirée, aux alentours de la plaza de toros, la déception est palpable. Morante de la Puebla, insuffisamment remis de sa blessure de Pontevedra, est substitué par le vétéran jiorano, Diego Urdiales. Rien de bon, semble-t-il, car ce dernier traverse actuellement un moment difficile de sa carrière. Le natif d’Arnedo va rapidement et de façon magistrale, nous ouvrir les yeux sur notre jugement erroné et nous prouver qu’il n’est pas encore tout à fait à la retraite. Il fait preuve tout au long de la course d’une entrega soutenue de jeune premier et nous offre, à son premier, une faena majuscule. Quel plaisir de retrouver Urdiales à ce niveau.
Pour Saúl Jiménez Fortes, c’est exactement l’inverse. Depuis sa tarde madrilène de la San Isidro, il semble marcher sur un nuage. Au milieu des siens, il ne rate pas l’occasion d’asseoir sa nouvelle notoriété. Quel changement ! En quelques mois, sa tauromachie approximative, souvent inconsciente, faite de nombreux accrochages et laissant craindre le pire à chacune de ses apparitions, a laissé la place à un toreo classique, mesuré et technique. Il coupe la seule oreille de la tarde. Oreille de poids. En prélude, il reçoit le capote de paseo qui récompense le triomphateur de la feria 2024.
Pablo Aguado a, lui, marqué l’après-midi par la grande classe qu’on lui connaît mais qui est hélas trop souvent discrète en dehors des frontières de son Andalousie natale. Le quite par veronicas au second toro de Fortes restera comme le grand moment de la tarde. L’échec aux aciers à l’ultime, le prive d’un succès plus conséquent.
Diego Urdiales
Premier toro
Urdiales hérite en premier adversaire d’un joli castaño, qui va très vite s’avérer être le toro offrant le plus de possibilité, et le diestro ne pas laisser échapper l’opportunité. Réception par un capoteo classique, alluré, gagnant le centre du ruedo, qui soulève les premiers olés de la soirée. Comme ses congénères, le toro montre des signes de faiblesse au cheval. Après brindis à Fortes, l’entame de faena est supérieure, avec en exergue une trinchera de cartel faisant frissonner le conclave. La faena du Jiorano de plus en plus centré, va aller a mas. Sur les deux pitons, les muletazos s’enchaînent en musique. Une grande série de naturelles en point d’orgue. L’estocade au premier assaut est entière mais légèrement tombée. Nuée de mouchoirs. Le Président, qui a une calculatrice à la place des yeux, estime qu’il manque un mouchoir pour sortir le sien.
Double vuelta très fêtée et énorme bronca au palco, ne permettant pas de juger l’appréciation laissé au noble Torrealta.
Quatrième toro
Le second adversaire de Diego Urdiales est d’une faiblesse frôlant l’invalidité. Le public proteste bruyamment mais le Président est tout aussi avare du mouchoir vert que du blanc. Dès lors, les piques sont symboliques et le travail d’Urdiales va se limiter à une faena d’infirmier. Dommage car le toro possède un fond de noblesse aperçu lors de muletazos templés. Le public, à bout, lui demande d’en finir. Estocade en place. Le natif d’Arnedo est appelé à saluer. Grosse bronca à l’arrastre.
Saúl Jiménez Fortes
Second toro
En deuxième position, Fortes touche un negro de 533 kg bien armé, qui va vite s’avérer pétri de mauvaises intentions. L’animal possède cependant de la bravoure en deux piques poussées. Le picador est applaudi. Le toro se réserve lors d’un tercio de banderilles difficile. Brindis au conclave malvenu, compte tenu du contexte. Le travail muleteril est compliqué face à un bicho avisé, de demi-charge qui se retourne comme un chat. Comme pour conjurer le sort, le Malagueño va, en fin de faena, interrompre les débats pour aller retourner sa montera tombée « bouche ouverte » lors du brindis. De façon incompréhensible, alors que le torero est en difficulté, la musique se réveille. Pour en finir, Fortes propose un toreo trémendiste qui sonne comme un aveu d’impuissance. Entière caida efficace. Salut. Sifflets à la dépouille.
Cinquième toro
Le second adversaire de Jiménez Fortes, s’emploie franchement au capote, dans un travail alluré et rythmé portant sur le public. Devant le lancier, à nouveau des génuflexions trahissant la faiblesse du toro. Aguado s’avance alors, capote en main, pour servir trois véroniques d’un autre monde tellement le mouvement du capote semble léger et suave, et que dire de la demie qui fait lever la plaza comme un seul homme. Sans conteste, ce quite aux effluves de romarin va rester comme le point fort de la tarde. Fortes, un peu vexé, répond immédiatement dans un silence quasi mystique. Hélas, la guerre des quites va tourner court après une voltereta plus spectaculaire que grave. Le comportement du toro, qui a touché sa cible, va alors être complètement transformé. Le tiers des palos est compliqué. Urdiales est à l’origine d’un énorme quite salvateur qui sera, lui aussi, un temps fort de la course.
Brindis politique diversement apprécié. Après un début de faena prudent, l’Andalou va rapidement et de façon intelligente, prendre la mesure du Torrealta qui demeure incertain. Fortes va lui laisser exprimer une noblesse tout sauf docile, en avançant la jambe, la corne passe alors souvent très près du Scarpa. Les naturelles sont liées, autoritaires, allongées, les pechos toréés. L’ensemble est donné dans un silence de cathédrale uniquement fendu par les olés rugis à l’unisson. En fin de trasteo, le toro rendu se réfugie vers les planches. Estoconazo final spectaculairement efficace. Récompense limitée à une oreille, nous sommes en première. Quelques sifflets incompréhensibles à l’animal.
Pablo Aguado
Troisième toro
L’animal sorti en troisième position est armé offensif. Il freine dans le capote d’Aguado. Tercio de piques sans classe en faisant sonner les étriers. Ivan Garcia s’illustre sur une paire de batônnets clouée dans le berceau, moins en réussite sur la deuxième paire. Le toro possède une charge violente mais exploitable. Le Sévillan, peu en confiance, débute son trasteo de façon distante, déclenchant quelques sifflets. Aguado se reprend rapidement, gagne de la confiance et se centre davantage jusqu’à déclencher la musique, que le maestro interrompt de lui-même. Le piton gauche est le bon et les séries sont valeureuses. Une demi-lame dans le recoin vient ternir une faena allant a mas, qui aurait pu lui valoir un trophée. Salut. Sifflets à l’arrastre.
Sixième toro
En dernière position, Aguado se voit offrir un adversaire sans force et sans moteur, bref sans classe. Premier tiers sans aucun intérêt. Joselito Rus salue pour un bon travail aux banderilles. Début de faena alluré, la main délicatement posée sur la talanquère. Belle trinchera et quelques passes de ceinture, spécialités de l’Andalou, ne pourront venir à bout de la demi-charge d’un animal sans transmission. Difficulté avec l’épée. 4 pinchazos avant demi-lame efficace. Silence. Sifflets pour le bicho.
Conclusion
De cette tarde entretenue, sans triomphe mais toujours intéressante, je mettrais volontiers en avant le retour au premier plan de Diego Urdiales, un peu oublié des cartels estivaux.
Il est dommage que la fête des toros soit ternie, comme ce fut le cas lors du dernier trasteo du jour, par des slogans politiques mettant en cause le chef du gouvernement, copieusement insulté par une partie de la plaza. Ce genre d’invective n’a rien à faire ici. Vive la fiesta et uniquement la fiesta !
Olivier Castelnau
Fiche Technique
- Málaga. Plaza de toros de la Malageta. 6 toros de Torrealta pour :
- Diego Urdiales (Moutarde et noir) : 2 Vueltas, Salut
- Saúl Jiménez Fortes (Sangre de toro et or) : Salut, Oreille
- Pablo Aguado (Azabache et or) : Salut, Silence
- 12 piques.
- Salut de Joselito Ruis.
- Président : Antonio Roche
- Plein apparent
- Voile de chaleur. 32 °C.