Beaucaire : au delà des polémiques!
Beaucaire : au delà des polémiques!
Le rendez-vous est désormais attendu. Le dernier week-end de juillet, les arènes Paul Laurent de Beaucaire, bien connues des passionnés des traditions camarguaises, s’ouvrent à la tauromachie espagnole. Sous l’égide de l’Aficion Taurine Beaucairoise (ATB), la feria de la cité gardoise propose le samedi 26 et le dimanche 27 juillet, deux novilladas piquées, sous la forme de deux desafios ganaderos d’encastes minoritaires.
Le premier jour, un face-à-face français avec les novillos de Yonnet opposés à ceux de Tardieu Frères ; et le lendemain, un duel ibérique entre Prieto de la Cal et Partido de Resina. Cette feria torista nous permettra de voir également, le jeune novillero nîmois Valentin Vindevogel « Valentin », accéder à la catégorie des novilladas piquées. L’occasion pour Tertulias d’interroger le Président de l’ATB, Laurent Giner, un homme entier, passionné, qui ne connaît pas la langue de bois. Interview sans concession.

Tertulias : « L’ATB fête cette année ses dix ans, quelle est l’histoire de sa création ?»
Laurent Giner : « L’idée est née il y a 25 ans à une époque où la tauromachie espagnole fonctionnait bien, avec des arènes qui se remplissaient, quels que soient les cartels présentés. Avec une bande d’amis, parmi lesquels les anciens de l’ANDA (Association Nationale Des Aficionados) Alain Chambon, René Berlandier et Francis Fabre, nous avions eu l’idée de monter une association. Nommée « Du vert au Bleu », elle se proposait de redynamiser et d’améliorer la qualité des spectacles et de gérer leur organisation, qui était jusqu’alors dévolue à la mairie. Le projet est tombé à l’eau, faute d’accord avec le maire de l’époque. Il y a dix ans, profitant d’un changement de municipalité, nous avons créé l’ATB avec l’aval du maire, Julien Sanchez, qui, bien que n’étant pas aficionado, a eu le souci de préserver une culture locale plus que centenaire mais aussi bien content de se débarrasser de « la patate chaude ».
Tertulias : « Aujourd’hui, de quels moyens disposez-vous pour votre action ? »
Laurent Giner : « Trois ans après sa création, l’ATB a acquis son autonomie et une liberté totale. Sur le plan de la gestion, la mairie nous verse une subvention annuelle de 10 000 €. Le reste du financement provient du fonctionnement d’une bodega. Nous l’avons créée avec des fonds propres des membres de l’association ».
Tertulias : « Comment pourrais-tu résumer ton parcours ? »
Laurent Giner : « Bien sûr mon engagement associatif a marqué mon parcours, avec la participation au retour de la tradition taurine à Tarascon derrière Jean-Louis Rouyre, la présidence de l’ANDA, et la création de l’ATB. Mais ce qui aura été déterminant, plus que tout, dans mon engagement « torista », c’est la fréquentation, dès l’âge de 10 ans, de La Belugue et du maître des lieux Hubert Yonnet. Avec Hubert, j’avais une relation amicale très forte et lorsque nous parlions ensemble, il n’était question que du Toro et de rien d’autre. Je lui rappelais volontiers, que si j’étais devenu ce que je suis, c’était sa faute (rires) ».
Tertulias : « Quelle est la vocation de l’ATB ? »
Laurent Giner : « C’est très simple, les objectifs de l’ATB sont écrits dans les statuts. Il s’agit de l’organisation de novilladas d’encastes minoritaires. Ainsi nos intentions toristas sont d’emblée clairement définies. Ce qui signifie que sur les 500 à 600 élevages disponibles, que ce soit en Espagne ou en France, il n’y en a que 10 à 20% qui sont susceptibles de nous intéresser »
Tertulias : « Est-ce qu’en Espagne, Villaseca de la Sagra, Cenicientos sont des modèles ? »
Laurent Giner : « Paradoxalement, si on doit chercher un exemple, ce n’est pas en Espagne où la notoriété de ces ferias est arrivée au même moment ou un peu après la nôtre, mais plutôt du côté de Parentis-en-Born de la « grande époque ». L’équipe qui dirigeait alors était capable de sortir chaque année, je dis bien chaque année, un lot de novillos primable selon les critères drastiques de l’ANDA ».
Tertulias : « On se souvient qu’en 2020, année du confinement, Beaucaire a été la première plaza à ré-ouvrir. En avez-vous bénéficié en termes d’image et de notoriété ? »
Laurent Giner : « Oui. Incontestablement, ce fut un moment important car les projecteurs se sont braqués sur nous. L’ouverture de la temporada 2020 répondait à une réelle attente. Tout s’est rapidement déroulé après un coup de fil de la mairie, nous demandant si nous étions prêts à organiser la novillada prévue. En trois semaines, il a fallu s’assurer que les novillos du Conde de la Corte et de Dolores Aguirre avaient les vaccinations requises et que les toreros étaient prêts à jouer le jeu. Nous avons obtenu le feu vert. ».
Tertulias : « Depuis l’année dernière, l’ATB est au centre d’une polémique concernant l’organisation des novilladas de 2024 et 2025. Peux-tu nous expliquer ? »
Laurent Giner : « Dans un réel souci de vouloir améliorer le niveau technique de nos novilladas, en 2024 nous avions proposé de choisir nous-mêmes les banderilleros et picadors pour former les cuadrillas et de procéder à un tirage au sort entre les novilleros pour leur attribution. Tout le monde avait été d’accord sur le principe et les contrats signés. Tardivement, les banderilleros français ont fait connaître leur désaccord avec le soutien du premier syndicat des subalternes espagnols. Trois semaines avant la date, la pression a été d’une telle ampleur que l’entreprise de destruction a failli réussir avec les désistements en chaîne. C’était sans compter sur le second syndicat espagnol qui a l’habitude de gérer les situations de crise. Il a soutenu notre projet. Bien entendu, la compensation financière a été importante mais nous n’avions pas le choix pour que la feria puisse se dérouler ».
Tertulias : « Et pourtant en 2025, vous réitérez »
Laurent Giner : « Nous n’avons pas lâché l’affaire, nous sommes têtus ! Cependant, cette année, nous avons procédé un peu différemment en laissant l’initiative aux professionnels. Nous avons demandé aux novilleros de venir seuls sans cuadrilla. Nous avons répété, façon de la remercier, la cuadrilla que nous avions fournie l’année dernière à Joao D’Alva. Ensuite nous avons chargé deux banderilleros de renom de monter deux cuadrillas supplémentaires. Les trois cuadrillas interviendraient sur les deux jours et l’attribution se ferait par ordre d’ancienneté. Joao D’Alva, étant le plus ancien, a choisi sa cuadrilla de 2024. José Otero, déjà présent l’année dernière, et David Adalid ont donc eu la charge de former chacun une cuadrilla complète.

Les prétentions financières de José Otero n’ont pu être satisfaites et finalement nous nous sommes tournés vers « Valentin » pour lui proposer de monter, en collaboration avec Gonçalo Alves, la troisième cuadrilla formée de Français acceptant de jouer le jeu et de Portugais. Encore une fois, la motivation d’une telle organisation est d’entourer les jeunes, souvent sans beaucoup d’expérience et de moyens, par des professionnels renommés capables de hausser le niveau technique et de les accompagner dans des courses difficiles. Et puis, j’ai pu me rendre compte que ce concours de cuadrillas est un événement demandé et attendu par le public ».

Tertulias : « Est-ce que cette polémique et la publicité qui en a été faite ne vous aura pas été finalement préjudiciable ?»
Laurent Giner : « Bien sûr que si. Les gens ne comprenaient plus rien. Les communiqués contradictoires se succédaient. Nous étions traités de voleurs qui ne voulaient pas payer et que sais-je encore! Ce tapage médiatique nous a fait beaucoup de mal. Mais notre action a pointé du doigt la problématique du marché taurin français. Cette problématique touche principalement les petites arènes. Il n’est plus possible de cautionner un système dans lequel les picadors sont mieux payés que les novilleros. Les prestataires de service ont également leur responsabilité.
Au final, on assiste sans rien dire à la mise en péril et au risque de fermeture des places de troisième catégorie comme ce fut le cas à Eauze ou La Brède. Les grosses empresas, appuyées par l’UVTF, achètent une paix sociale. La lumière est faite sur les grosses ferias et leurs « no hay billetes ». Mais personne ne parle des petites places et du vivier indispensable que représentent les novilladas piquées et sans picadors. Dans l’avenir, j’ai très envie de m’investir pour la réhabilitation des petites arènes, aujourd’hui délaissées par les instances officielles ».
Tertulias : « Revenons à la féria. Qu’est ce qui a présidé au choix des ganaderias ? »
Laurent Giner : « Pour le samedi, nous sommes heureux de présenter le fer de Tardieu Frères, l’héritage de Lucien Tardieu. C’est un élevage que nous souhaitions programmer depuis longtemps et cette année nous avons pu le faire. L’intérêt de cet élevage réside dans les origines provenant d’Etienne Pouly et de ces bêtes croisées Camargue-Espagnol. Aujourd’hui, seuls François André et Tardieu peuvent encore revendiquer ces origines. Alors, même s’il a été procédé à un rafraichissement au cours des ans, le sang qui coule dans les veines des toros de ces élevages recèle des trésors génétiques qu’on ne retrouve nulle part ailleurs et qui en font un encaste à part. Pour ce qui est du retour de Yonnet, ça coulait de source ».
Tertulias : « Et dimanche ? On comprend le choix des Prieto de la Cal au vu de leurs dernières sorties, mais pourquoi Partido de Resina ? »
Laurent Giner : « Pour le dimanche, le projet initial était un desafio de Huelva : Cuadri vs Prieto de la Cal. Rapidement, nous avons su que chez Cuadri, nous n’aurions rien car la seule novillada possible était pour Villaseca de la Sagra. Chez Prieto de la Cal, nous avons pu être bien servis, même si d’autres, notamment Vic, étaient passés avant.
Nous avons alors décidé d’aller voir, un peu à reculons, chez Partido de Resina. Et là, ce fut la grande surprise du voyage. On nous a proposé 4 novillos jolis, bien faits, dans le type de l’encaste. Impossible de refuser ».
Tertulias : « Dans l’esprit de ces desafios, est ce que vous donnez des consignes pour la bonne conduite du premier tiers ? »
Laurent Giner : « Oui. Avant tout, dans le choix des présidences qui sont confiées à des personnes qui ont la même philosophie que nous et bien sûr au moment du sorteo, on répète les consignes qui ne sont pas toujours respectées. Mais bon, c’est en tapant plusieurs fois sur le clou qu’il finit par rentrer ».
Tertulias : « Concernant les piétons, vous refaites venir Joao D’Alva pour les deux paseos ? »
Laurent Giner : « C’est un énorme lidiador. En novillada actuellement, il n’a pas son pareil. Il est sérieux et capable de tout s’envoyer, sans rechigner. C’est pour moi le meilleur lidiador novillero de ces dix dernières années. Je ne comprends pas qu’’on ne l’engage pas plus. Certes, on l’a vu à Vic, mais en substitution, quant à Céret ça demeure une interrogation ».
Tertulias : « Valentin Vindevogel « Valentin », va faire ses premiers pas en piquée dans un contexte qui ne sera pas des plus faciles. Comment a-t-il été engagé ? »
Laurent Giner : « Il est fou…Il est fou… Il est fou. C’est lui qui s’est proposé en acceptant toutes nos conditions. Jamais nous ne serions allés le chercher pour une première course en piquée devant des Yonnet et des Tardieu. Il y a peut-être quelques choses à faire avant. En tout cas, c’est tout à son honneur et il suscite le respect ».

Tertulias : « En ce qui concerne la taquilla,où en êtes-vous ? »
Laurent Giner : « J’aimerais pouvoir dire : « Dépêchez-vous ! Prenez vos places, ça va être plein » (rires), mais c’est loin d’être le cas. On a un public local, un peu toujours les mêmes. Nous vendons beaucoup aux clubs taurins, mais l’essentiel de la vente se fait le jour même ».
Tertulias : « Pour terminer notre entretien, comment vois-tu l’avenir de la tauromachie espagnole à Beaucaire ? »
Laurent Giner : « Je ne sais pas, mais il se fera sans moi. J’ai décidé d’arrêter. C’est ma dernière année ».
Tertulias : « Pourquoi une telle décision ?»
Laurent Giner : « Parce que financièrement, cela devient très compliqué. On va encore arriver à boucler le budget cette année mais pour l’avenir, ce sera très difficile. On a épuisé toutes les sources de revenus possibles. Je préfère partir de mon plein gré, plutôt qu‘obligé par la faillite ».
* Un siècle de corridas à Beaucaire, par Jean-Louis Rouyre.
C’est sur cette mauvaise nouvelle que s’achève notre conversation. Cette sortie n’est pas sans nous remémorer la dissolution de l’ANDA, sous sa présidence. Mais Laurent Giner est ainsi, préférant partir le sentiment du devoir accompli, plutôt que de s’accrocher à des chimères. En tout cas, l’équipe de Tertulias lui souhaite muchas suerte pour la feria qui s’annonce, et pour la suite de son aventure taurine.
Infos et billetterie : 07 67 60 89 12
Propos recueillis par Olivier Castelnau