Feria d’Istres : les belles histoires de Bernard Carbuccia
Feria d’Istres : les belles histoires de Bernard Carbuccia
Dans quelques jours, du 13 au 15 juin, va se tenir la feria d’Istres. La cité des Bouches-du-Rhône est devenue, depuis la fermeture de Fréjus, la plus orientale des villes de la planète taurine. À la tête des arènes du Palio depuis 18 ans, Bernard Carbuccia, 58 ans, peut se targuer d’avoir créé au fil des ans, un rendez-vous attendu et incontournablede la temporada française.
Corse par son père, Andalou par sa mère et Marseillais de naissance, Bernard Carbuccia a été le 20 ème torero français à prendre l’alternative, sous l’apodo de Bernard « Marsella ». C’était à Béziers le 14 août 1990, devant Vencedor de Murteira Grave, avec pour parrain José Antonio Campuzano et Rafi de la Viña comme témoin. Deux ans après, le torero se retirait pour laisser la place à l’empresa, avec le succès que l’on sait.
Bernard Carbuccia a accepté de répondre aux questions de Tertulias en prélude aux festivités.

Tertulias : Bernard, vous avez été matador de toros au début de votre carrière. Que retenez-vous de cette époque ?
Bernard Carbuccia : « Une grande époque de ma vie… L’aboutissement de ma passion des toros et la réalisation de mon rêve de gamin de devenir torero, même si j’avais conscience du fossé qui sépare le torero de la figura ».

Tertulias : Qu’est-ce que vous a apporté dans votre carrière d’empresa, le fait de vous être, vous-même, confronté aux toros ?
Bernard Carbuccia : « Énormément de choses. En premier lieu, ayant vécu moi-même des situations compliquées, je peux facilement comprendre le torero qui a besoin d’opportunités. Ensuite, la création d’un réseau relationnel fort. Le passé vous rattrape toujours. Un seul exemple : Enrique Ponce. Nous avons
débuté ensemble à Madrid et grâce à cette relation privilégiée, j’ai pu organiseravec lui des moments mémorables au Palio, jusqu’à sa tournée d’adieux qui n’est pas passée partout, mais qui a fait un détour par Istres ».
Tertulias : Depuis maintenant plusieurs années, la feria d’Istres est reconnue comme une date importante de la saison en France. Quelle a été votre recette pour hisser le Palio à ce niveau ?
Bernard Carbuccia : « Tout ne s’est pas fait en un jour. Cela fait 26 ans que je suis à Istres. Au début, j’ai beaucoup appris dans les coulisses, aux côtés de Robert Margé et Luc Jalabert. Mais le virage a été 2007, date à laquelle j’ai eu les pleins pouvoirs.
À partir de là, l’objectif a été de remplir progressivement les arènes en fidélisant le public. Tout ça n’est rendu possible qu’avec l’aide des nombreux partenaires, qu’il faut démarcher chaque année. Ils sont la colonne vertébrale du budget de la féria. Parallèlement à ce travail commercial et de promotion, il y a la confection des cartels de la feria qui demande environ un an de préparation pour aboutir en janvier à sa présentation officielle, devenue elle-même un événement à part entière. L’objectif est, chaque année, de raconter une histoire différente, qui nous démarque de ce qui se fait ailleurs, et qui donne à Istres son identité ».

Tertulias : Comment passe-t-on de matador de toro à directeur d’arène ?
Bernard Carbuccia : « Après ma despedida, je me suis reconverti dans une société qui vendait des distributeurs automatiques de café… et c’est en installant une de ces machines à la mairie d’Istres, que le destin m’a fait rencontrer le maire François Bernardini, grand aficionado, qui construisait à l’époque les arènes du Palio. Il a perçu alors, l’intérêt pour la ville, qu’un ancien matador vienne épauler l’organisation déjà en place. Il s’en est suivi un long apprentissage. Le réel succès a débuté en 2009, avec la venue de Sébastien Castella, au même cartel que Luis Francisco Espla qui faisait ses adieux, et la programmation d’une corrida de Miura.
À partir de là, de nombreuses figuras sont venues au Palio. Mais attention, il ne suffit pas « d’empiler » les vedettes de l’escalafon, ce qu’il faut c’est surprendre le public, aller dans des domaines où les autres ne vont pas, pour ne pas proposer ce qu’on voit partout ailleurs ».
Tertulias : Concrètement, quel est votre statut ?
Bernard Carbuccia : « Je suis simple employé municipal, rattaché à la direction des événements. Ce poste de directeur d’arène a été créé par la seule volonté de Monsieur le Maire ».
Tertulias : Pouvez-vous nous en dire plus sur la confection des cartels ?
Bernard Carbuccia : « La mise en place de la feria de l’année suivante débute alors que la temporada précédente n’est pas finie. Dès septembre, les projets sont soumis au Maire, qui les valide. En octobre, je me rends en Espagne pour visiter les élevages. En novembre, les toreros sont engagés. Fin janvier, c’est l’annonce officielle. La billetterie ouvre en février pour la féria, qui aura lieu à la mi-juin ».
Tertulias : L’édition 2024 a connu un formidable succès. Que retenez-vous de cette feria ?
Bernard Carbuccia : « L’année dernière, le thème choisi était « la main tendue », avec le choix de programmer non pas deux figuras et un jeune, mais une figura avec deux jeunes. On s’est heurté à quelques difficultés, car les figuras n’acceptent pas facilement d’endosser sur leurs seules épaules, la responsabilité de remplir les tendidos. La corrida des adieux de Enrique Ponce a été un événement important. Autres points de satisfaction : la fréquentation, avec un public qui a répondu largement, et également un nombre important de bons toros qui ont contribué au succès de cette feria 2024 ».

Tertulias : Quel a été le fil conducteur, pour bâtir la feria 2025 ?
Bernard Carbuccia : « Avant tout, un grand regret, celui d’avoir dû, pour des raisons budgétaires, déprogrammer la novillada. Mais elle reviendra l’année prochaine. Ensuite, la feria s’est bâtie autour d’un projet né il y a deux ans avec Jean-Baptiste Jalabert : celui d’une confrontation amicale entre Marco Perez et
son mentor Jean-Baptiste, qui revêtirait l’habit de lumière pour l’occasion.
Cette belle histoire n’a pu se réaliser en 2024. Elle verra donc le jour cette année, le dimanche
après-midi. Ce mano a mano, face à trois élevages différents, est la concrétisation d’une idée chère à Jean-Baptiste, qui a naturellement trouvé un écho favorable auprès de Marco Perez, qui reviendra à Istres fraîchement sacré matador de toro après y avoir débuté en novillada piquée.
Cette corrida est donc l’événement de la feria, avec un « no hay billetes » affiché un mois et demi avant la date, et avec de nombreuses demandes tous les jours que nous ne pouvons pas satisfaire ! Tout le reste de la feria a été bâti autour de cette corrida ».

Tertulias : Vous avez une relation privilégiée avec Jean-Baptiste Jalabert ?
Bernard Carbuccia : « Jean-Baptiste, je l’ai vu naître, « taurinement » parlant, et nous avons une réelle relation d’amitié. Il a beaucoup toréé au Palio et y a souvent triomphé. Et puis, il y a eu l’encerrona mémorable de 2013, face à six toros d’élevages différents dont Miura, Victorino Martin et La Quinta. Six oreilles et une queue symbolique, l’indulto de Golosino qui deviendra en 2019 le semental de son élevage « La Golosina » … C’est cette histoire magique qui lie définitivement Jean-Baptiste Jalabert à la ville d’Istres ».
Tertulias : En ouverture, vous aviez prévu une corrida du Curé de Valverde et les adieux de Jean-Luc Couturier à Istres, mais finalement cette corrida ne se tiendra pas. Que s’est-il passé ?
Bernard Carbuccia : « Il y a 15 jours, dans l’urgence, nous avions dû transformer la corrida de Valverde en un desafio entre Valverde et Yonnet, à la suite d’accidents de campo ayant rendu impropre à la lidia, trois des six toros prévusinitialement.
La semaine dernière, Jean-Luc Couturier m’appelle, catastrophé, pour m’informer que deux des trois toros restants ont été retrouvés morts dans des circonstances mystérieuses. Aucune trace de blessure, les vétérinaires ont été appelés et des analyses sont en cours. Il a fallu donc trouver trois toros dans
l’urgence, ce qui n’a pas été facile, compte-tenu de la pénurie de bétail pour cette année et pour l’année prochaine. On a finalement retenu trois toros de la ganaderia espagnole Montealto, qui fera sa présentation dans le Sud-Est. Jesuis désolé pour Jean-Luc Couturier, qui devait faire ses adieux à Istres et qui ne
pourra pas le faire, sachant qu’il se sépare de sa ganaderia et qu’il n’aura aucun toro pour 2026. La corrida d’ouverture sera donc un desafio entre Yonnet et Montealto. Le cartel piéton ne change pas.
À la demande de la CTEM nostalgique des années 80, nous avons monté un cartel international de toreros
banderilleros. Là encore, ce ne fut pas facile, car il y a de moins en moins de matadors qui banderillent, Solal étant le seul Français en activité à le faire ».
Tertulias : Quelles sont vos attentes concernant la Corrida de l’Art du samedi et celle des abonnés du dimanche matin ?
Bernard Carbuccia : « La corrida du dimanche matin a permis de proposer un abonnement à 130 € pour quatre corridas, dans une place où même si on est assis au dernier rang, on demeure à proximité du ruedo. Un cartel attractif avec pour la première fois à Istres, un lot complet du Puerto de San Lorenzo et en
face, une valeur sûre de l’escalafon, Miguel Ángel Perera. Il sera encadré par deux jeunes ambitieux. D’un côté, le Mexicain Diego San Román, que je suis depuis plusieurs années et qui arrive auréolé de sa prestation madrilène. Il a tout pour devenir figura. De l’autre côté, Christian Parejo, qui a triomphé ici
l’année dernière, qui vient de triompher à Aignan. Il mériterait d’avoir plus de contrats.
Pour le samedi, j’avais envie de proposer pour la première fois au Palio, une corrida flamenca. Mais pas une corrida flamenca de plus, pas un concert flamenco comme trop souvent. Nous avons invité un chanteur flamenco torero, Paco Peña, ancien banderillero au service des plus grands. Ce sera donc une interprétation d’un torero envers d’autres toreros, en posant des notes flamencas sur les moments les plus somptueux et les plus artistiques de l’après-midi. Par ma relation amicale avec Antonio Barrera, gérant de l’élevage
Zalduendo, j’ai pu avant les autres, choisir la corrida d’Istres. Elle est superbement présentée, très homogène et je fonde sur elle beaucoup d’espoir.
En face, bien-sûr Clemente, pour son 4 ème paseo après avoir triomphé les trois premières fois, et surtout après avoir récemment marqué les esprits à Madrid. Il sera accompagné de David Galvan, actuellement dans un excellent moment. Sera présent l’artiste sévillan Juan Ortega qui fera sa présentation à Istres ».

Tertulias : On note la présence d’un Français de souche ou d’adoption dans chacun des cartels. Est-ce une volonté délibérée ?
Bernard Carbuccia : « Istres a toujours joué le jeu, de favoriser les toreros de chez nous. Dans l’histoire du Palio, sur la totalité des postes disponibles, 117, soit 33%, ont été attribués à des Français. Mais être Français ne suffit pas, couper des oreilles non plus. Pour venir à Istres, il faut pouvoir s’intégrer dans un projet artistique ».
Tertulias : Revenons un peu en arrière… Quel est le souvenir le plus marquant de votre époque, vêtu de lumière ?
Bernard Carbuccia : « J’ai beaucoup de bons souvenirs de cette époque, et de mauvais aussi (rires). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas mon alternative, mais une novillada que j’avais toréée à San Sebastian de Los Reyes en 1988. Ce jour-là, tout s’était déroulé à la perfection, et la rumeur était
remontée jusqu’à Madrid. Curro Vásquez, présent dans les gradins, avait largement contribué à ma publicité. Mais le métier est tellement difficile que tout s’est rapidement effrité ».
Tertulias : Et si vous ne deviez retenir qu’un seul souvenir de votre carrière d’organisateur ?
Bernard Carbuccia : « Sans difficulté, c’est celui de la corrida du retour de Joselito en 2014. Tellement improbable, tellement difficile à monter, les yeux de la planète taurine braqués sur nous et au final, Joselito coupe 4 oreilles et une queue, 11 ans après sa despedida. C’est cette corrida qui a consacré Istres et le
Palio ».

Tertulias : Difficile de parler de l’édition 2026 alors que l’édition 2025 ne s’est pas encore tenue, mais je suis persuadé que vous avez déjà quelques idées en tête. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Bernard Carbuccia : « J’ai quelques pistes (rires). Mais 2026, année d’élection municipale, va être une année particulière. Je croise les doigts pour la réélection de François Bernardini. Ce serait l’assurance de pouvoir continuer à écrire l’histoire taurine de la ville, et de poursuivre l’aventure débutée il y a 26 ans aux côtés de celui à qui je dois tout. La situation de la tauromachie est tellement fragile, il suffit de regarder ce qui s’est passé à Fréjus dans le département voisin ».
Tertulias : Pour clore notre entretien, quelques questions rapides…
Séville ou Madrid ? « Séville ».
Capote ou muleta ? « Muleta ».
Belmonte ou Gallito ? « Manolete ».
Roca Rey ou Luque ? « Joker ».
Domecq : Santiago ou Juan Pedro ? « Juan Pedro ».
Mouchoir bleu ou mouchoir(s) blanc(s) ? « Mouchoir(s) blanc(s) ».
La Concha flamenca ou l’Hymne à l’amour ? « L’Hymne à l’amour » (NDLR, la chanson de Piaf avait rythmé la faena du triomphe de Joselito en 2014).
Torero ou empresa ? « Les deux, l’un ne va pas sans l’autre ».
Nous remercions Bernard Carbuccia pour cet entretien et lui souhaitons mucha suerte pour l’édition 2025 de la feria d’Istres !
Places disponibles pour les corridas de vendredi, samedi et dimanche matin. Réservation en ligne :www.istres.fr/feria
Par téléphone : 04 13 29 56 38 et 04 42 81 76 00
Propos recueillis par Olivier Castelnau