Tejera, toujours à propos
Tejera, toujours à propos
La tauromachie est une culture. C’est une culture et non une tradition. Cet argument de la tradition est trop souvent utilisé par nos détracteurs, pour argumenter sur la possibilité et la facilité de s’en débarrasser.
À ce titre de culture, elle possède une histoire, des lois et des règles, des coutumes et des traditions donc, des valeurs, une philosophie, mais également un langage, des codes vestimentaires et bien entendu une riche expression artistique. Cette expression artistique se définit par une littérature abondante parfois académique et nobélisée, par une peinture, une sculpture, une architecture et une musique qui lui sont propres. C’est sur cette musique que je voudrais m’arrêter quelques instants.
La musique, un détail?
La musique fait partie intégrante de la corrida, même si pour beaucoup, elle demeure un détail, au regard de ce qui se joue en piste. Le style musical de la tauromachie est une musique d’inspiration martiale, s’apparentant souvent aux marches militaires ou processionnelles : le paso-doble. On est bien obligé d’admettre que ce style musical est trop souvent considéré, comme un style musical mineur.
Comme un rituel, chaque plaza ouvre ses corridas par un paso qui lui est propre lui conférant ainsi une identité. Les premières notes de « Plaza de la Maestranza » nous transportent immédiatement à Séville, celles de « Plaza de las Ventas » ou de « Gallito » à Madrid, de la même façon « Club cocherito » à Bilbao,
« Pan y toros » à Valencia et ainsi de suite. En France, « Aragona » nous fait voyager à Vic, « Flor de España » à Dax, la solennelle marche « El paseo » à Céret. Seul le Sud Est échappe à cette vocation identitaire en rythmant le paseillo, partout où sortent des taureaux, qu’ils soient espagnols ou camarguais par… l’ouverture de Carmen.
Cela n’a pas beaucoup de sens en ce qui concerne la corrida. Par ses origines, elle devrait être célébrée par une musique d’inspiration espagnole. Ne parlons même pas des musiques de film ou des chansons de variété qui, chez nous, par souci d’originalité, s’invitent au spectacle des toros. Une hérésie.
Madrid
Madrid, sollicite peu son orchestre. Ici on ne joue plus lorsque le toro est en piste. Les musiciens réduits à la portion congrue à tel point, qu’il est difficile, de les entendre selon sa place dans le coso madrilène. Et pourtant, dans la capitale, le programme musical s’intégre au programme de la corrida au même titre que la présentation des toreros et de la ganaderia. À Bilbao et à Valencia, le titre du paso-
doble joué apparaît sur des écrans lumineux. Partout dans le monde, à l’exception donc de Madrid, les grandes faenas mais au-delà, tous les gestes en piste sortant de l’ordinaire, se saluent par la musique de la plaza.
Magnifier le beau
À Séville, la cité qui exacerbe toutes les sensibilités artistiques, là où le « beau » s’érige comme une hygiène de vie, l’orchestre de la plaza n’échappe pas à cette singularité. La Banda de Música del Maestro Tejera a été créée au début du siècle dernier par le Maestro Tejera. À sa disparition, quelques chefs emblématiques prirent sa succession à sa direction, dont les célèbres Tristán père et fils. La notoriété de la musique de la Maestranza est telle que son nom est entré dans le langage commun sous le simple vocable de Tejera.
Bien entendu, à travers la planète taurine, beaucoup d’orchestres d’arène développent un grand talent, mais ce n’est pas leur faire offense de dire que Tejera demeure la référence en la matière. En premier lieu, la qualité des musiciens donnent à chaque interprétation un éclat et une solennité rencontrés nulle part ailleurs. ensuite par la personnalité des chefs qui la dirigent, tous aficionados hors pair, si bien qu’ici, et nulle part ailleurs, la musique est jouée à la discrétion de son directeur. Et toujours fort à propos.
Lors de la dernière féria sévillane, Manuel Escribano arbore un superbe costume brodé par des représentations de la célèbre cathédrale de la ville et de sa non moins célèbre girouette. Illico pour récompenser l’Andalou, Tejera fait jouer la célèbre « Giralda », de López Juarranz, un des plus anciens pasos qui rend hommage à Séville et à sa cathédrale. Toujours lors de la prestation du Gerenense, devant les toros de Victorino cette fois, l’orchestre interprète le magnifique « Amparito Roca ». Reviennent de facto, les émotions de l’année précédente.
Tout sauf un hasard
En 2024, toujours face aux victorinos, Tejera avait interprété « Amparito Roca » pour saluer Manuel qui s’avançait en jeans à porta gayola, dans une tension palpable, pour accueillir son deuxième toro, celui du triomphe, après avoir manqué perdre la vie devant son premier. L’attente de la sortie du toro fut tellement longue que l’orchestre eut le temps de jouer la totalité du paso, dans un silence quasi religieux. Les petites flûtes qui rythment « Amparito Roca » résonnent encore aujourd’hui dans nos oreilles.
Revenons à cette année, Pablo Aguado s’entend à merveille avec Victorioso de Juan Pedro Domecq, Tejera fait alors sonner à dessein, « Davila Miura » et son splendide solo de trompette. C’est en effet ce paso qui nous avait « hérissé les poils » lors dela corrida historique du 10 mai 2019 où Pablo avait coupé 4 oreilles. Encore une intervention opportune.
La veille, Miguel Ángel Perera délivre une faena liée, toute en douceur, à un toro de Victoriano del Rio et la musique s’accorde parfaitement avec un paso qui m’est inconnu. D’où venait cette pépite? Marc Lavie, sans conteste un des meilleurs spécialistes de la musique des toros, nous donne la réponse. Il s’agit d’un somptueux et intimiste paso : « Pedrin Moreno ». Un paso-doble ancien qu’on n’entend qu’à Séville, précise t-il.
Passons vite sur les pasos offerts aux Maestros en fonction de leurs inclinations personnelles ou créés en leur honneur. Ainsi, encore cette année, une bonne faena de José Mari Manzanares s’accompagnera du magnifique « Cielo andalou », paso préféré de l’Alicantin.
Eloge
Je ne voudrais pas terminer cet éloge à la musique de la Maestranza sans citer un autre érudit de la chose taurine, Jacques Durand, qui rapporte dans ses Figures de la tauromachie, que Paquirri interrompait systématiquement ses faenas durant le sublime solo de trompette de « Nerva », car à cet instant, le public n’avait d’yeux et d’oreilles que pour le trompettiste. Olé !
À la Maestranza, le spectacle est au centre du ruedo, mais pas que.
Olivier Castelnau
bel article olivier Castelnau , merci
Très belle article monsieur que j’approuve totalement.